Blanchiment et financement du terrorisme : la Tunisie sur la liste noire des pays exposés

Le Parlement européen a voté ce mercredi 7 février l’inscription de la Tunisie sur la liste des pays exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Un nouveau coup dur qui pourrait avoir des conséquences graves pour l’économie du pays, selon l’ancien ministre de l’Économie tunisien Hakim Ben Hammouda.

Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, reçu par le président tunisien Beji Caid Essebsi le 31 octobre 2017. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, reçu par le président tunisien Beji Caid Essebsi le 31 octobre 2017. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Publié le 7 février 2018 Lecture : 4 minutes.

Saisi par la Commission européenne, le Parlement européen a, de nouveau, mis la Tunisie en mauvaise posture. Les députés européens ont décidé ce mercredi en séance plénière de classer la Tunisie sur la liste noire des pays défaillants en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Une liste sur laquelle figurent notamment l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie et le Yémen.

« En dépit des efforts acharnés de certains députés, le Parlement n’a pas réussi à obtenir la majorité absolue nécessaire de 376 voix pour rejeter l’inclusion de la Tunisie, du Sri Lanka et de Trinité-et-Tobago », peut-on lire sur le communiqué du Parlement diffusé dans les minutes qui ont suivi un vote qui « reflète la division du Parlement sur cette question avec 357 voix en faveur de la motion de rejet de la nouvelle liste, à 283 voix contre, et 26 abstentions ».

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Dans une déclaration à Jeune Afrique, l’ancien ministre tunisien de l’Économie, Hakim Ben Hammouda, estime  » qu’il est inadmissible de passer d’une liste noire à une autre ». Le 5 décembre, l’UE avait classé son pays dans une liste noire des paradis fiscaux avant de le retirer. « La première fois, il y a eu un dysfonctionnement, là il s’agit d’une multiplication de dysfonctionnements au sommet de l’État. Une responsabilité politique est engagée », ajoute-il.

Ce classement, « plus grave que le premier », aura pour conséquence d’entacher très sérieusement la réputation de la Tunisie qui s’apprête à une sortie à l’international. « Les investisseurs étrangers seront confrontés à des problèmes de transfert d’argent et les entreprises tunisiennes auront des difficultés à acheter des produits et à monter des opérations financières et bancaires avec l’étranger », analyse l’ancien ministre.

D’une liste noire à l’autre

La démarche européenne, appelée dispositif LBA/FT (Lutte anti-blanchiment/Financement du terrorisme), est en effet initiée quelques semaines après le classement par les ministres des Finances européens de la Tunisie parmi les paradis fiscaux début décembre 2017. Le gouvernement tunisien n’avait alors pas produit un dossier justificatif dans les temps. Le 23 janvier, les ministres des Finances sont revenus sur leur décision et intégré la Tunisie à une liste « grise », celle des pays qui doivent montrer leur bonne foi en entamant des réformes.

Les deux affaires se télescopent avec en filigrane la question du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. La première alerte avait été donnée en novembre 2017 par le Groupe d’action financière (GAFI), organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

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Il avait placé la Tunisie dans la catégorie des pays « à haut-risques et non-coopératifs » susceptibles d’être fortement exposés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Il se basait sur les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui dévoilaient des dysfonctionnements. 

À titre d’exemple, sur 28 000 entreprises étrangères installées en Tunisie, 22 000 n’ont aucun employé. De quoi susciter de nombreux questionnements.

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Après avoir reçu l’engagement des autorités tunisiennes de revoir les dispositifs de contrôle et hausser le niveau de vigilance, le GAFI a rangé la Tunisie parmi les pays « sous surveillance » en janvier 2018. La Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, pour laquelle les avis du GAFI font autorité, n’a pas pris en compte cette nouvelle position et enclenché une procédure contre la Tunisie.

Conséquences alarmantes

Les suspicions européennes à l’égard de la Tunisie s’expriment au moment où le pays annonce pour la mi-mars une levée de fonds de 850 millions d’euros sur la place internationale. Une démarche nécessaire pour boucler le Budget de l’État et entamer les grands projets structurants, faute d’avoir reçu les appuis budgétaires programmés sur 2017 par des instances internationales, dont le Fonds monétaire international (FMI). 

La décision du Parlement européen risque d’avoir un impact important sur cet emprunt, d’autant que les agences de notation, à l’image de Moody’s, attribuent une perspective négative au pays. « Ces alertes ne doivent pas être mal interprétées, il s’agit d’encourager la Tunisie à produire une meilleure distribution des richesses », précise un responsable de la délégation de l’Union européenne à Tunis.

Diplomatie à la traîne

Cette décision n’est pas une surprise pour les autorités tunisiennes. Lors d’une conférence de presse donnée à l’occasion de la visite d’État d’Emmanuel Macron en Tunisie, le 31 janvier 2018, le président tunisien Béji Caïd Essebsi avait exprimé sa reconnaissance à la France pour son soutien en faveur de la sortie du pays de la liste noire des paradis fiscaux. Il avait alors émis le vœu d’avoir le même appui pour « un dossier à venir ».

Est-ce le destin du pays de continuer à payer au prix fort le laxisme des dépositaires du dispositif LBA/FT ?

Visiblement, il faisait référence à ce nouveau classement examiné par la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen le 29 janvier 2018. N’empêche que, comme pour l’affaire des paradis fiscaux,  le gouvernement ne semble pas avoir pris toute la mesure des décisions européennes. « Est-ce le destin du pays de continuer à payer au prix fort et douloureux le laxisme des dépositaires du dispositif LBA/FT ? », s’interroge l’expert financier Samir Brahimi.

Il pointe du doigt les défaillances de la diplomatie tunisienne qui n’a pas mesuré l’importance du dossier. Certains à Tunis estiment que ce dossier risque de coûter sa place à Chedly Ayari, Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) tandis que les médias s’indignent de ce qu’ils considèrent comme une cabale du Parlement européen contre le pays.

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