Lettres de Kinshasa #2 : « Bana Kin bazo luka vie ! »

Une Congolaise retourne à Kinshasa après trois ans d’absence. Insécurité, difficultés du quotidien, retrouvailles avec ses proches… Elle raconte son séjour à une amie restée à Paris. Si ses déceptions font naître un brin de révolte, elle reste fascinée par la persévérance des jeunes Kinois. Voici le second volet de son récit épistolaire.

Dans le train Matadi-Kinshasa le 25 juin 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Dans le train Matadi-Kinshasa le 25 juin 2016. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Publié le 2 février 2018 Lecture : 5 minutes.

Chère Joséphine, ici l’on dit « Mbote » pour dire bonjour.

Il faut s’efforcer de le prononcer avec le « M » qui précède le « B ». Non seulement les Kinois kiffent leur langue, mais ils s’arrangent pour la bonifier et la rendre fun et sexy. Des expressions naissent chaque année selon l’actualité sociopolitique du pays.

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· Ekufeli te : ce n’est pas grave

· Boma moto : banalise !

· Simba nga : littéralement « touche-moi », mais qui a plus la signification de « donnes-moi des sous »

Le Kinois, centre du monde

Autant de mots que l’on retrouve dans les chansons des artistes à succès ou affichées en grosses lettres sur les bus. Fiers des nombreux talents dont regorgent la scène congolaise- notamment Fally Ipupa -, le « made in Kinshasa » parvient à s’imposer dans toute l’Afrique. Et les Kinois ont parfois le sentiment d’être au centre de l’univers.

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>>> A LIRE – Fally Ipupa : « Le Congolais ne doit plus combattre le Congolais »

Au centre de tout, même. Ils dansent la rumba, danse populaire typiquement congolaise, ils fréquentent en général les restaurants congolais, ils parlent fièrement leur lingala, qu’ils soient dans la rue, dans les transports, qu’ils discutent sports ou politique. La politique congolaise, bien sûr, mais aussi – influence des médias français oblige – politique française ou américaine, ça dépend…

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Être Kinois. La construction de cette identité passe par l’appropriation du lingala. Certains acteurs politiques savent s’en servir. Étienne Tshisekedi, leader de l’opposition décédé en février dernier, Vital Kamerhe, candidat malheureux à la présidentielle de 2011 ou encore Jean-Pierre Bemba, candidat malheureux à la présidentielle de 2006, ont su chacun user des appels au « Bana Kin », le « peuple de Kinshasa ».

Les politiques en quête de l’esprit kinois

Jean-Pierre Bemba, qui mettait le lingala en exergue lors de ses discours, avait aussi une manière particulière de susurrer à l’oreille des Kinois. Et les Kinois, ils kiffent cette approche ! Un « esprit kinois » que l’actuel président Joseph Kabila a tenté d’adopter en 2006 pour se rapprocher des habitants de la capitale congolaise. Il n’y est jamais parvenu.

Ayant grandi en exil en Tanzanie. Ce n’est qu’en 1997, quand son père prend le pouvoir, qu’il découvre la capitale congolaise. En 16 ans au pouvoir, il n’a parlé publiquement le lingala qu’une seule fois, lors de la campagne présidentielle de 2006, sous l’influence de son bras droit de l’époque, Vital Kamerhe.

Le cœur des Kinois a toujours battu au rythme du premier parti de l’opposition congolaise, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et de tout ce qui se rapproche de la grande figure de l’opposition congolaise, Étienne Tshisekedi, le “sphinx de Limete”.

Ici, son influence reste intacte. Son fils, Félix, tente bien de prendre la relève, mais il a encore du chemin à faire. Selon la Commission électorale nationale indépendante, à la présidentielle de 2006, dans la ville de Kinshasa, sur 1 650 276 de votes exprimés au deuxième tour, seuls 528 045 étaient en faveur de Joseph Kabila, pourtant soutenu par deux partis de l’opposition. En 2011, il a obtenu 16 484 voix de plus qu’en 2006.

L’égoïsme de la classe politique

Mais si elle sait parfois trouver les mots qui touchent, la classe politique traditionnelle n’a pas su lutter contre les maux qui touchent la société, en premier lieu la pauvreté, la délinquance, la corruption et le chômage.

Les anti-valeurs ont été propulsées à une vitesse éclair. Les populations observent impuissantes l’accroissement des inégalités sociales. Un sentiment partagé, en RDC, est que la politique est favorable aux voleurs de la République et autres corrupteurs, mais dures envers les personnes honnêtes et droites. Un sentiment qui ne peut que rajouter de l’huile sur le feu social.

Du coup, tout le monde veut faire la politique… Mais le plus souvent, c’est dans l’idée de gagner de l’argent plutôt que par devoir citoyen ! Les amitiés se disloquent, les désaccords se multiplient au sein des partis politiques. Pas de quoi aider la jeunesse congolaise à trouver ses repères, d’autant qu’elle se débat pour survivre.

Jeunesse abandonnée

Le boulevard Lumumba, en 2014. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

Le boulevard Lumumba, en 2014. © Gwenn Dubourthoumieu pour Jeune Afrique

La jeunesse est abandonnée à elle-même. La gratuité de l’enseignement primaire dans les établissements publics, promesse de campagne de l’actuel président de la République, n’a jamais connu la moindre réalisation ; les bourses à l’université restent une utopie. Elles sont réservées aux privilégiés. Mais personne n’en parle.

D’un côté, les jeunes congolais découvrent – notamment avec la diffusion de l’émission de France 2 Cash investigation consacrée aux Panama Papers – que Glencore s’est emparé d’une mine de cuivre au Congo en fournissant à son partenaire  un prêt de 45 millions de dollars. De l’autre, à Kinshasa, les nombreux jeunes diplômés sortent des écoles sans trouver d’emploi…

Selon la Banque mondiale, sur 9 000 étudiants sortant chaque année des universités congolaises, moins de 100 trouvent du travail. Et ils sont rares, ceux qui empruntent le chemin de l’entreprenariat à la sortie de l’école. D’autant plus que 9 jeunes dits “entrepreneurs” sur 10 ont, en amont, une expérience professionnelle avant de se lancer !

Les nouveaux diplômés, sans expérience ni ressources financières suffisantes, sont abandonnés à eux-mêmes. L’ouverture par le gouvernement d’un guichet unique destiné à simplifier les démarches administratives pour la création des petites et moyennes entreprises n’a visiblement pas été accompagnée d’une réelle volonté politique de favoriser l’accès aux crédits pour les jeunes entrepreneurs.

De 2006 à 2011, le chantier de l’emploi s’est fondu dans l’air du temps, à la manière des moineaux qui disparaissent sans laisser de squelette. Il n’est resté qu’un simple slogan de campagne. Alors qu’à sa prise de pouvoir, à 29 ans, Joseph Kabila incarnait l’espoir pour les jeunes Congolais : “ Il se mettra à la place de la jeunesse”, espéraient-ils.

« Façonne le monde à ta façon »

Des cambistes de rue, à Kinshasa, en 2017. © John Bompengo pour Jeune Afrique

Des cambistes de rue, à Kinshasa, en 2017. © John Bompengo pour Jeune Afrique

Une poignée de jeunes essaient tout de même de faire fi de ces carences et tentent de se créer leur propre chemin. Chaque jour, ceux-là écrivent leur histoire d’une plume trempée dans la sueur, celle du courage, de la bravoure et de l’audace d’espérer.

En lingala, on dira que « Bana Kin bazo luka vie » : « Les Kinois travaillent pour leur avenir ». C’est le cas de Matondo Nsumbu, qui a lancé sa boîte: Tendaji, qui veut accompagner et accélérer la transformation numérique des entreprises et institutions en RDC. Il a posé ses valises à Kinshasa depuis 2013 après une expérience professionnelle en France.

Pour Matondo, le numérique est un secteur trop stratégique pour le laisser être dominé par des étrangers. « Sala Mokili na yo », répète t-il – « Façonne le monde à ta façon ». Bonny Maya, lui, a trouvé sa voie dans l’agriculture avec sa société e-mart.cd, qui vend des aliments bio et les livrent à domicile.

Enfin Teddy Lelo essaie de rivaliser face aux marques importées de l’occident dans la vente d’eau minérale. Pendant plus d’une heure, dans un café au Centre de ville, il déclare sa flamme pour le Congo, qu’il considère comme « une terre d’opportunités au-delà de toutes les pesanteurs ». Et comme un vrai Kinois, il se sent « comme un poisson dans l’eau » à Kinshasa, avec toujours à la bouche son leitmotiv, en lingala : « Eko Simba ! » – « ça va marcher, ça va aller… ».

Tous les trois ont moins de 40 ans…

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Le drapeau de la RDC dans un taxi de Kinshasa, en septembre 2017. © Ange Kasongo / J.A.

Lettres de Kinshasa #1 : « Kin ya bana kin ! »

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