Kenya : Raila Odinga prête serment en tant que « président du peuple »

Malgré les menaces du gouvernement, Raila Odinga a pu prêter serment lors d’une cérémonie parallèle dans le centre de Nairobi ce mardi après-midi. Mais le leader de l’opposition, qui affirme avoir remporté la présidentielle d’août 2017, semble de plus en plus isolé.

Raila Odinga, chef de l’opposition, le 30 janvier 2018 au Kenya. © Ben Curtis/AP/SIPA

Raila Odinga, chef de l’opposition, le 30 janvier 2018 au Kenya. © Ben Curtis/AP/SIPA

Publié le 30 janvier 2018 Lecture : 5 minutes.

C’est Bible en main et devant une foule en délire que Raila Odinga s’est autoproclamé « président du peuple », à défaut de « président de la République ». Debout sur un tapis rouge étalé à la va-vite par des militants, le leader de la National Super Alliance (la Nasa, coalition de l’opposition) a salué un jour « historique », marquant « le premier pas vers la fin des élections truquées, et l’établissement d’une véritable démocratie dans le pays ».

Pour les milliers de partisans rassemblés dans le parc Uhuru, au centre de Nairobi, c’est l’espoir d’une « libération », face à un gouvernement qu’ils considèrent comme illégitime. Beaucoup espèrent que « leur président » prendra rapidement des mesures.

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Sily Nyamiro, élu local de Migori, dans l’ouest du pays, prévoit déjà des retombées positives pour son comté : « Nous attendons des progrès en termes de développement. Car actuellement les ressources qui devraient être dédiées aux comtés sont détournées. Nous souhaitons aussi une réduction du chômage. Et à partir d’aujourd’hui, nous pourrons nous organiser ensemble pour créer un environnement favorable à l’emploi », explique-t-il.

Lorsque nous aurons deux présidents, ils seront bien obligés de discuter

D’autres, comme Michael, doutent de la possibilité d’un gouvernement parallèle, mais espèrent que la prestation de serment poussera Uhuru Kenyatta à la table des négociations : « Lorsque nous aurons deux présidents, ils seront bien obligés de discuter. Et alors, nous pourrons espérer des réformes, ou de nouvelles élections », explique l’étudiant, qui regarde l’événement de loin, craignant l’arrivée des forces de l’ordre.

Un bain de sang évité

Mais la confrontation entre police et militants, redoutée par les diplomates, n’aura finalement pas eu lieu. À la surprise générale, les forces de l’ordre avaient déserté le centre-ville. Et la cérémonie s’est déroulée dans une atmosphère de fête, au son des sifflets et des chants des militants, qui n’ont pas hésité à se baigner dans le lac du parc Uhuru ou à grimper sur des pédalos. Les autorités avaient pourtant promis une répression sévère. Le chef de la police Japhet Koome avait ainsi annoncé la fermeture du parc Uhuru, lieu choisi par l’opposition pour la cérémonie.

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De son côté, le procureur général avait prévenu Raila Odinga que sa prestation de serment serait considérée comme un acte de haute trahison. Ce n’est qu’au petit matin que des sources sécuritaires et diplomatiques ont confirmé le changement de tactique.

Le gouvernement a dû penser qu’un bain de sang servirait bien plus à l’opposition et donnerait une nouvelle fois l’image d’un pays en crise

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Une stratégie qui semble avoir été finement calculée, explique Murithi Muthiga, de l’International Crisis Group : « Le gouvernement a dû penser qu’un bain de sang servirait bien plus à l’opposition et donnerait une nouvelle fois l’image d’un pays en crise, ce qu’il a voulu éviter, tout en essayant de minimiser la portée de l’événement. »

Au moins deux des chaînes de télévision kényanes les plus populaires ont ainsi annoncé dans la matinée que leur signal avait été coupé dans une grande partie du pays. Plusieurs fois reportée, « cette prestation de serment parallèle montre en tout cas encore une fois la capacité de mobilisation de Raila Odinga, qui ne peut être complètement ignoré par le gouvernement », poursuit Murithi Mutiga.

L’opposition divisée ?

Pourtant, c’est un Raila Odinga hâtif et isolé qui s’est présenté sur l’estrade ce mardi. L’opposant ne s’est exprimé que quelques minutes, tentant de justifier l’absence des autres leaders de la Nasa. Musalia Mudavadi, Moses Wetangula et surtout Kalonzo Musyoka, qui devait prêter serment comme colistier de Raila Odinga, ne se sont en effet pas déplacés.

Le projet de prestation de serment fait polémique depuis le début au sein de l’opposition

Seuls le sénateur James Orengo, et le gouverneur de Mombasa Hassan Joho, considérés comme faisant partie de l’aile dure de l’opposition, entouraient leur leader sur l’estrade.

Des supporters de Raila Odinga, le 30 janvier 2018 au Kenya. © Ben Curtis/AP/SIPA

Des supporters de Raila Odinga, le 30 janvier 2018 au Kenya. © Ben Curtis/AP/SIPA

« Le projet de prestation de serment fait polémique depuis le début au sein de l’opposition, explique une source proche de la Nasa. Si la base du parti et l’aile dure ont poussé Raila Odinga à aller jusqu’au bout, des politiciens comme Kalonzo Musyoka et Musalia Mudavadi, qui veulent garder une image de rassembleurs, ont tenté de l’en dissuader », poursuit-elle.

Une cérémonie essentiellement symbolique

Ce soir, la stratégie de Raila Odinga après sa prestation de serment reste floue. « Je m’exprimerai au sujet de la prochaine étape en temps voulu », a-t-il déclaré avant de se retirer. L’opposition continue d’affirmer avoir remporté l’élection présidentielle du 8 août. La semaine dernière, elle présentait à la presse des documents provenant des serveurs informatiques de la commission électorale qui, selon elle, donneraient Raila Odinga vainqueur avec 8,1 millions de voix, devant Uhuru Kenyatta, 7,9 millions.

Ce serment va sûrement lui coûter ses derniers soutiens au sein de la communauté internationale

La Nasa poursuit également sa stratégie de résistance civile à travers la mise en place des assemblées du peuple, censées travailler à une révision de la Constitution. Mais le pouvoir, la structure et le fonctionnement de ces assemblées reste encore à définir. Pour Nic Cheeseman, spécialiste de la politique kényane, si cette prestation de serment suit la logique de l’opposition, elle est essentiellement symbolique.

« C’est une stratégie du désespoir qui ne changera rien de concret. Depuis des semaine, l’opposition cherche à définir sa stratégie sans y parvenir. Raila Odinga tente de se créer une image de légitimité. Mais cette prestation de serment va sûrement lui coûter ses derniers soutiens au sein de la communauté internationale et de la communauté des affaires », précise-t-il.

Le gouvernement semble en tout cas déterminé à empêcher toute action supplémentaire de la part de l’opposant. Dans un décret publié ce mardi soir, le ministre de l’Intérieur Fred Matiang’i a annoncé que le Mouvement de Résistance Nationale (NRM), créé par Raila Odinga au lendemain de l’élection présidentielle d’octobre, est désormais considéré comme une organisation criminelle.

Après l’échec de toutes les tentatives de dialogue, les deux parties semblent toujours irréconciliables. « Les deux camps sont de plus en plus polarisés et le camp Kenyatta est très en colère », affirmait ce matin un diplomate, qui craignait l’arrestation de certains opposants.

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