« La décision ivoirienne de taxer le mobile-money est difficilement justifiable »

L’annexe fiscale de la loi de finances 2018 suscite de nombreuses critiques dans le secteur privé ivoirien. Malick Fall, cofondateur de la plateforme de transfert d’argent Wari, proteste en particulier contre la création d’une taxe sur les transactions via mobile qu’il juge incohérente à l’heure de l’UEMOA et de la libre circulation des capitaux.

Téléphones et smartphones à Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Téléphones et smartphones à Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA

malick fall
  • Malick Fall

    Expert organisation & finance digitale, Membre fondateur de Wari.

Publié le 17 janvier 2018 Lecture : 3 minutes.

Il est surprenant d’apprendre qu’une taxe sur les transactions via mobile vient d’être instituée en Côte d’Ivoire, au moment où tous les efforts de la BCEAO et des États de l’UEMOA convergent vers la promotion de l’inclusion financière et des services financiers digitaux.

Il est mis en avant dans l’exposé des motifs que c’est, entre autres, dans le but de maîtriser les transactions financières réalisées à travers les services en ligne et par téléphones mobiles qu’a été instituée cette taxe et qu’il s’agit d’une activité en plein essor, extériorisant une volumétrie estimée à plusieurs centaines de milliards par an pour des recettes fiscales vraisemblablement insuffisantes.

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Pour le premier point, la solution est donnée par l’Instruction 008-05-015 de la BCEAO qui soumet les acteurs du secteur à l’obligation d’informations, via les statistiques mensuelles sur leurs volumes d’activités.

De plus, cette taxation revient à dire : « Envoyez de l’argent main à main (incognito), vous ne paierez pas de taxes ! Envoyez de l’argent via réseau formel (traçabilité), vous paierez des taxes ! » Une logique pour le moins difficile à comprendre et qui, implicitement, pose les conditions d’une « ré-exclusion financière ».

S’agissant du second point, il y a peut-être une erreur de jugement : la base imposable ayant toujours été la commission et non le montant, une absence de corrélation linéaire entre le volume et l’impôt perçu tombe sous le sens, d’autant que les modes de facturation sont dégressifs par palier.

Deux poids, deux mesures ?

Tout laisse à croire que les réalités du secteur n’ont pas été bien prises en compte. Taxer à hauteur de 0,5 % du volume transféré peut de prime abord paraître insignifiant, mais une analyse des conditions de banque en donne une toute autre lecture : c’est 20 fois plus cher que ce qui est demandé en banque. Une Taxe sur les opérations de bourse (TOB) de 10 % sur 0,025 % de commissions de mouvements donne ainsi un taux de 0,0025 % sur les volumes échangés.

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D’autre part, il semble être occulté qu’à l’instar des banques, la plupart des transactions de mobile à mobile sont gratuites : l’État gagnera donc 0,5 % là où le prestataire ne gagne pas.

Un paiement par mobile chez un commerçant sera doublement taxé, sur la TVA d’une part et sur le transfert d’argent d’autre part

En 2015, une note de service salutaire de la DGI (N° 1265 /MPMB/DGI/DLCD) a permis d’harmoniser les règles entre les banques et les sociétés de transfert d’argent. L’esprit d’équité qui la sous-tendait n’aurait-t-il pas aussi pu prévaloir ici ? Le mobile money n’aurait-il pas pu s’aligner au régime fiscal bancaire ?

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Quoi qu’il en soit, force est de constater que les paradoxes demeurent, avec d’une part une distorsion fiscale qui privilégie la banque au détriment du mobile money (quid des virements bancaires ordonnés par web ou mobile ? Entreront-ils dans le champ d’application de cette taxe ?) ; et d’autre part une double imposition : en payant un marchand par mobile, on supportera outre la TVA (acte commercial), cette nouvelle taxe (acte de paiement).

Pour conclure, je dirais que cette taxe sur la « circulation de l’argent » se justifie difficilement dans l’UEMOA où la monnaie censée circuler librement.

Pendant que la BCEAO prend de courageuses mesures visant la gratuité de services bancaires, la Côte d’Ivoire taxe le mobile money !

Elle prend à contrepied la BCEAO et les États de l’UEMOA qui s’attèlent depuis des années à l’élaboration d’une stratégie régionale d’inclusion financière cohérente. Pendant que la BCEAO prend de courageuses mesures visant la gratuité de 19 types de services bancaires, dont les virements compte à compte, le mobile money se voit frappé d’une nouvelle taxe sujette à caution.

Il est donc souhaitable que les autorités reviennent sur cette décision, et qu’en bon fleuron du secteur, la Côte d’Ivoire coordonne avec les autres États de l’UEMOA une réflexion globale sur les conditions de promotion des services financiers digitaux. Cette démarche contribuera non seulement à consolider les actions de la BCEAO, mais aussi à révéler toutes les niches fiscales connexes de l’écosystème de la finance digitale.

Le secteur des services financiers digitaux est sans nul doute l’un des principaux leviers d’émergence de l’Afrique. Consolidons-le, ne l’affaiblissons pas !

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