Guinée : une marche de la colère pour dénoncer le « musellement » de la presse

Une centaine de journalistes guinéens ont battu le pavé mardi à Conakry pour protester contre ce qu’ils estiment être un climat général de répression de la liberté de la presse dans le pays.

La police déployée à Conakry, en octobre 2015. © Youssouf Bah/AP/SIPA

La police déployée à Conakry, en octobre 2015. © Youssouf Bah/AP/SIPA

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Publié le 7 novembre 2017 Lecture : 4 minutes.

Une marche dite de la « colère » s’est déroulée sans incident, mardi 7 novembre, dans le centre administratif et des affaires de Kaloum. « Sans la liberté de la presse, pas de démocratie », « Sans la liberté de la presse, pas d’État de droit »… Sur près de trois kilomètres, les manifestants ont entonné des slogans revendicatifs pour protester, notamment, contre la décision de l’organe de régulation des médias de suspendre pendant une semaine, du 3 au 9 novembre, la radio privée Espace FM.

D’après la la Haute autorité de la communication (HAC), le radio aurait « [diffusé des] informations susceptibles de porter atteinte à la sécurité de la nation, au moral des forces armées et à l’ordre public ». Au milieu de la foule de contestataires, Lamine Guirassy, le PDG du groupe Hadafo Médias, qui comprend deux radios à Conakry et trois stations relais à l’intérieur du pays, n’a pas manqué de dénoncer ce qu’il juge être un acharnement de la part de la HAC contre son groupe de médias.

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Un acharnement ?

« [C’est] une décision dépourvue de sens. C’est un problème personnel entre Martine Condé, la présidente de la HAC, et moi-même, mais je ne sais pas pourquoi. Il n’y a pas d’antécédent entre nous », assure-t-il. Les grandes gueules, son émission de talk-show phare, avait également été suspendue du 5 au 9 juin 2017. Mohamed Mara, l’un de ses animateurs accusé d’avoir tenu des « propos violents et grossiers envers les Guinéens » avait été interdit d’exercer la profession de journaliste pendant un mois. « C’est la troisième fois que nous sommes victimes de sanctions depuis le début de l’année. À un moment donné, il faut que cela s’arrête », martèle le PDG d’Hadafo Médias.

Lansana Conté a déjà été donné pour mort au moins trois fois par des rumeurs, mais personne n’a été arrêté pour cela, rappelle Amadou Tham Camara

Aboubacar Camara, directeur général du groupe RTV Gangan, se dit également victime d’acharnement de la part de la HAC. Le lundi 30 octobre dernier, il a notamment passé la nuit à la brigade de gendarmerie de Yimbaya, banlieue sud de Conakry, suite à une rumeur concernant la mort du président Alpha Condé. Il est depuis poursuivi pour « diffusion de fausses informations et atteinte à la personne du chef de l’État », alors que trois autres de ses collègues avaient été auditionnés dans la journée puis relâchés. Et pourtant, « Lansana Conté a déjà été donné pour mort au moins trois fois par des rumeurs, mais personne n’a été arrêté pour cela, rappelle Amadou Tham Camara, président de l’Association guinéenne de la presse en ligne (Aguipel). Les rumeurs sont fréquentes dans un pays, mais ce n’est pas une raison pour bâillonner la presse. Nous sommes très inquiets et en colère ».

Plainte pour « coups et blessures contre des journalistes »

Ce ne sont pas les seules atteintes contre des journalistes. Mobilisés le mardi 31 octobre pour demander la libération d’Aboubacar Camara, des journalistes avaient été molestés par les gendarmes de l’Escadron mobile numéro 3 de Matam, toujours en banlieue de Conakry. Les associations de presse ont enregistré 18 journalistes blessés et des équipements détruits, dont des caméras, des téléphones et des dictaphones. Elles comptent déposer une plainte contre les agresseurs ce jeudi 9 novembre auprès du Tribunal de première instance de Mafanco, a rappelé dans une déclaration Bilguissa Diallo, elle-même violentée lors de cet accrochage entre gendarmes et journalistes. Les associations de médias ont également décidé de retirer leurs représentants à la Haute autorité de la communication, accusés de ne pas jouer correctement leur rôle.

« Un pays fait de paradoxes »

Après une marche de quarante-cinq minutes, la centaine de manifestants s’est immobilisée devant le Palais du 25 août, qui abrite le siège de la HAC. Celui-ci est chargé d’histoire, comme le rappelle Alpha Ousmane Bah, qui a parcouru 431 km pour venir participer à la marche, soit la distance qui sépare Labé (préfecture du nord du pays où il travaille) à Conakry.

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« La Guinée est un pays fait de paradoxes, dit-il. Le 25 août 1958, c’est dans ce Palais, qui symbolise la liberté, l’indépendance de notre pays, que Sékou Touré a dit non au général de Gaulle. Il abrite aujourd’hui la HAC qui restreint la liberté des médias. À notre tour, nous disons non à Martine Condé ! » Celle-ci n’a pas fait d’apparition, tout comme les neuf autres commissaires de l’institution de régulation. Ce qui n’a pas empêché les protestataires de lire leur déclaration et d’entonner l’hymne national de la Guinée, intitulé Liberté.

La société civile présente dans la marche

Les associations de la société civile se sont jointes aux manifestants. « Un État qui se veut démocratique doit garantir la liberté de la presse qui fait partie de la société civile. S’attaquer à la presse, c’est s’attaquer à la paix sociale », a expliqué Baïllo Barry de l’ONG Destin en Main, qui portait un cache-nez estampillé HAC et barré d’une croix au niveau de la bouche. Une façon, selon lui, de dénoncer « le musellement imposé aux médias ».

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Le colonel Mamadou Alpha Barry, porte-parole de la gendarmerie nationale, invite les médias à renoncer à leur « plainte pour laver le linge sale en famille ». Pas sûr que son appel soit entendu.

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