Octobre 1917 : quand l’Afrique aussi vivait la révolution russe

Hakim Adi, historien britannique, rappelle que le continent africain et les Noirs vivant en Occident ont aussi tourné les yeux vers Moscou, dès les premières années de la révolution russe.

Portrait de Lénine, le dépeignant en action pendant la révolution d’octobre 1917/ © AP SIPA

Portrait de Lénine, le dépeignant en action pendant la révolution d’octobre 1917/ © AP SIPA

CRETOIS Jules

Publié le 23 octobre 2017 Lecture : 4 minutes.

Le monde entier se souvient de la révolution russe, à l’occasion de son centenaire. Événement qui a ébranlé le monde, l’onde de choc de la révolution bolchévique n’a pas épargné les élites africaines, les mouvements de travailleurs sur le continent pas plus que les consciences dans la diaspora africaine ou encore les Noirs Américains.

Hakim Adi, historien britannique, professeur d’histoire de l’Afrique et de la diaspora africaine à l’université de Chichester en Grande-Bretagne et auteur de plusieurs livres en anglais sur les relations qu’entretiennent communisme et panafricanisme revient sur les répercussions africaines de ce big bang politique.

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Jeune Afrique : Les élites africaines sont-elles au courant de ce qui se passe lorsque la révolution russe débute en octobre 1917 ? Cela suscite-il de l’espoir ?

Hakim Adi : La révolution pousse d’abord la Russie à se désengager d’un conflit mondial et impérialiste, à révéler les divers traités secrets que les grandes puissances ont contracté et à dénoncer les relations qu’entretiennent le colonialisme et la guerre. Tout cela a forcément soulevé beaucoup d’espoir.

Les élites africaines se retrouvent vite influencées par ces changements radicaux

La révolution a notamment suscité de l’intérêt chez les Africains qui s’étaient battus durant la guerre, à l’instar de Lamine Senghor en France (militant politique sénégalais, ndlr). Parmi ceux qui subissaient le joug colonial, elle ouvre de nouvelles perspectives, étant donné que des nations assujetties jusqu’ici par le vieil Empire russe se libèrent alors.

Les élites africaines, notamment celles qui ont reçu une éducation occidentale, se retrouvent donc vite influencées par ces changements radicaux. Un exemple d’adhésion pleine et entière aux idées de l’Internationale communiste (créée en 1919 dans la foulée de la révolution russe, ndlr) est celui Franck Macaulay, fils de Herbert Macaulay, le « père du nationalisme nigérian ».

Les bolcheviks prennent-ils en considération les questions africaines ?

Lors du deuxième congrès du Komintern, en 1920, Lénine aborde la question du racisme contre les Noirs aux États-Unis, et la rattache aux préoccupations coloniales. Le sujet réel était de savoir comment les communistes devaient soutenir ceux qui luttaient contre le colonialisme. Lénine et ses camarades appelaient de leur vœu à une conjonction des luttes menées par les travailleurs dans les pays capitalistes développés et ceux vivant dans des nations oppressées.

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L’analyse de l’impérialisme faite par Lénine et l’expérience d’octobre 1917 étaient censés montrer que la brèche dans le système impérialiste pouvait se produire n’importe où et pas forcément au cœur de l’Europe industrialisée.

Par ailleurs, rare étaient alors les organisations internationales en dehors de l’Internationale communiste, qui supportaient les droits de chacun, sans distinction de couleur ou de nationalité.

La révolution trouve de l’écho avant tout là où le mouvement anticolonial est le plus développé

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Enfin, tout parti communiste qui voulait rejoindre cette Internationale devait souscrire à 21 conditions. Parmi elles, l’une déclarait que les « partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies et opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti (…) a pour devoir de (…) soutenir, non seulement en mots mais dans les faits, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole… »

Dans quels pays la révolution russe a-t-elle eu l’impact le plus immédiat et le plus fort ?

La révolution trouve de l’écho avant tout là où le mouvement anticolonial est le plus développé, ou là où il existe une classe ouvrière. C’est donc en Égypte et en Afrique du Sud qu’elle a le plus d’impact.

Mais son influence se fait ressentir ailleurs, notamment chez des Africains qui résident en Europe. En Égypte, le mouvement anticolonial et les mouvements de travailleurs sont puissant, surtout à partir de la Révolution égyptienne de 1919. La révolution russe a une influence profonde sur ceux qui fondent le Parti socialiste égyptien en 1921, qui devient le Parti communiste dès 1922.

La Révolution russe fait aussi un fort effet sur les personnes déjà organisées politiquement en Afrique du Sud et permet la création du Parti communiste sud-africain dès 1921. Avant 1917, en Afrique du Sud, comme en Egypte, les travailleurs étrangers jouent un rôle clé dans l’introduction du marxisme et les premières organisations socialistes comptent souvent de nombreux européens.

Toutefois, c’est l’engagement des travailleurs africains qui permet la création d’organisation révolutionnaires capables d’attirer de nombreux militants, comme l’Industrial Workers of Africa, créée en 1918.

La révolution russe a aussi de l’influence sur le mouvement panafricaniste ?

Oui, et des organisations comme la African Blood Brotherhood aux États-Unis ou le Comité de défense de la race nègre en France l’adoptent pleinement. Parmi les premiers panafricanistes, certains font de même, comme Tiemoko Garan Kouyaté ou George Padmore. Il faut aussi noter les voyages que certains font en Union soviétique après 1917.

Les Africains Américains Paul Rubeson, Langston Hughes et W.E.B Du Bois s’y rendent. Le dernier, après sa visite en 1926, déclare : « Si c’est cela le bolchevisme, alors je suis bolchevik. »

L’Internationale communiste avait en fait une approche panafricaniste de ce que l’on appelait alors la « question noire », en faisant sienne la position selon laquelle toutes les personnes d’origine africaine subissaient des formes similaires de racisme ou d’oppression coloniale. Cette approche aura par exemple un fort impact sur l’important Congrès panafricain de Manchester organisé en 1945.

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