Kenya : l’IEBC « ne peut pas organiser une élection crédible », selon Roselyn Akombe

Figure importante de la très controversée Commission électorale kényane (IEBC), Roselyn Akombe a déclenché une nouvelle tempête politique en démissionnant, mercredi 18 octobre. La désormais ex-commissaire dit craindre pour sa vie et se trouve aujourd’hui aux États-Unis. Elle explique à Jeune Afrique les raisons de sa démission.

Roselyn Akombe, membre démissionnaire de l’IEBC au Kenya, ici le 11 août 2017, juste avant que Uhuru Kenyatta (g.) ne reçoive son certificat de victoire à la présidentielle, invalidée par la suite par la Cour suprême. © Sayyid Abdul Azim/AP/SIPA

Roselyn Akombe, membre démissionnaire de l’IEBC au Kenya, ici le 11 août 2017, juste avant que Uhuru Kenyatta (g.) ne reçoive son certificat de victoire à la présidentielle, invalidée par la suite par la Cour suprême. © Sayyid Abdul Azim/AP/SIPA

Publié le 20 octobre 2017 Lecture : 4 minutes.

Alors que le président de l’IEBC a lui-même mis en doute la possibilité de tenir des élections crédibles le jeudi 26 Octobre, la commissaire, qui a travaillé pour les Nations Unies pendant plus de dix ans, revient pour Jeune Afrique sur les raisons de son départ et sur le processus électoral en cours au Kenya.

Jeune Afrique : Pourquoi avez- vous décidé de quitter la commission électorale ?

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Roselyn Akombe : Car je pense que dans l’état actuel des choses, l’IEBC ne peut organiser une élection crédible le 26 Octobre. D’autre part, je me suis rendue compte que je n’étais plus en capacité de participer activement au travail de la commission. En effet, les décisions au conseil doivent être votées à l’unanimité. Depuis quelques mois, à chaque fois que nous tentons d’apporter des réformes, elles sont rejetées par quatre commissaires.

Des commissaires reçoivent directement leurs instructions de partis politiques

Nous sommes trois commissaires, dont le président de l’IEBC, Wafula Chebukati et moi-même, à être sur la même ligne, tandis que les autres s’opposent à tout. Il n’y a même plus de discussion possible. Leur comportement est partisan : ces commissaires reçoivent directement leurs instructions de partis politiques.

De quel(s) parti(s) parlez vous ?

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Je ne veux pas pointer du doigt, mais c’est bien connu. Il y en a certains disent que « tout va bien », alors que c’est faux.

Pourquoi partir seulement maintenant, à une semaine des élections, alors que vous avez participé à tout le processus ?

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Ce n’était pas une décision facile. J’ai envoyé de nombreux mémos listant mes préoccupations, demandant à ce que nous tentions de régler ces problèmes. J’ai réalisé que rien ne changerait, que malgré tous nos efforts, nous ne pourrions apporter les réformes nécessaires. Et puis, le retrait d’un des candidats aurait dû changer la donne. Jusque-là, j’avais apporté mon soutien.

J’ai été menacée à de nombreuses reprises. C’est pour cela que j’ai dû quitter le pays

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Vous avez déclaré à plusieurs reprises vous en sentir en danger. Qui vous menace ?

Oui, j’ai été menacée à de nombreuses reprises. J’ai signalé ces menaces mais rien n’a été fait. C’est pour cela que j’ai dû quitter le pays.

La Commission électorale se trouve aujourd’hui face à un dilemme. Doit-elle organiser des élections avant le premier novembre, comme le stipule la Constitution, au risque de tenir un scrutin non crédible ou de déclencher une crise constitutionnelle ? Quelle-est, selon vous, la solution ?  

Je répète mon appel au dialogue. Je suis consciente de l’ordre que la Cour Suprême nous a donné le 1er septembre d’organiser les élections sous 60 jours et je le respecte. Mais nous aurions pu retourner devant la justice en lui présentant les différents défis auxquels nous faisions face.

Prenons l’exemple de la technologie : nous avions dans un premier temps prévu deux candidats pour cette nouvelle élection. Mais depuis un arrêt de la Haute Cour (en date du 11 octobre, NDLR), nous pouvons avoir jusqu’à huit candidats. Il est trop tard pour ajouter de nouveaux candidats dans le système.

Le risque de tenir une élection non crédible est plus important que les enjeux d’une crise constitutionnelle

L’entreprise française Safran/Morpho nous a clairement dit qu’il lui faudrait au moins deux semaines de plus pour mettre tout à jour correctement. Mais la Commission, elle, continue comme si de rien n’était.

Je ne pense pas qu’il faille se conformer à une décision de justice que nous ne sommes pas en mesure d’appliquer. Mais la commission a voulu prendre des raccourcis, au lieu de penser dans le temps long.  Le risque de tenir une élection non crédible, qui peut encore une fois être annulée par la Cour suprême, est plus important que les enjeux d’une crise constitutionnelle.

Aujourd’hui, nous avons besoin d’un dialogue entre les différents bords politiques, et rien ne pourra remplacer cela.

Au Burundi en 2015, l’Union Européenne a quitté le pays. Pourquoi un traitement différent au Kenya ?

Pensez-vous que les élections doivent donc être reportées, avec une nouvelle Commission électorale ?

C’est l’organisation même de la Commission électorale qui pose problème, au-delà des personnes qui la composent.

Les deux pôles, l’un représenté par le président Wafula Chebukati, l’autre par le directeur exécutif, Ezra Chiloba, ne fonctionnent pas bien ensemble. Il devrait y avoir un seul centre de décision.

Aujourd’hui, selon vous, la démocratie kényane est-elle en danger ?

Les Kényans se sont battus pour obtenir la démocratie, et aujourd’hui, nous ne pouvons garantir un processus crédible. Il y a de sérieux problèmes.

Je ne comprends pas la position des observateurs internationaux. L’Union africaine, les Nations unies auraient dû s’exprimer, appeler au dialogue, au lieu de soutenir ce processus électoral.

Pourquoi avoir deux poids et deux mesures ? Au Burundi en 2015, la mission de l’Union Européenne a quitté le pays en estimant que les conditions n’étaient pas réunies pour la tenue d’une élection crédible. Pourquoi un traitement différent au Kenya ?

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