Grève des magistrats malgaches : « Il faudra bien que le pouvoir nous entende »

À Madagascar, la colère gronde parmi les juges. Un mois après leur première mobilisation, le syndicat des magistrats de Madagascar (SMM) vient de lancer un nouvel appel à la grève du 11 au 17 juillet. Leur présidente, Fanirisoa Ernaivo, entend ainsi lutter contre les atteintes à l’indépendance de la justice sur l’île, après les remous de l’affaire Claudine Razaimamonjy qui secouent le pays depuis plusieurs semaines.

Deux syndicats de magistrats ivoirien ont dénoncé dans un communiqué des « immixtions » du pouvoir exécutif dans l’exercice de leurs fonctions. © Jean-Francois Badias/AP/SIPA

Deux syndicats de magistrats ivoirien ont dénoncé dans un communiqué des « immixtions » du pouvoir exécutif dans l’exercice de leurs fonctions. © Jean-Francois Badias/AP/SIPA

Publié le 11 juillet 2017 Lecture : 4 minutes.

Conseillère spéciale du chef de l’État malgache, cette femme d’affaires a été arrêtée le 3 avril dans une affaire de détournement d’argent public. Le ministre de la Justice est personnellement intervenu pour la défendre et demander sa libération. Une démarche qui ulcère les juges et révèle selon eux la déliquescence de l’état de droit sur l’île.

Jeune Afrique : Il s’agit du deuxième appel à la grève du SMM en un peu plus d’un mois. Quelles sont vos revendications ?  

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Fanirisoa Ernaivo : C’est très simple : nous réclamons l’indépendance des magistrats malgaches dans l’exercice de leur fonction. Le pouvoir doit cesser de s’immiscer dans le déroulé des procès, en donnant des ordres qui permettent à certaines personnes de se soustraire à une procédure judiciaire. Celles-ci ont été condamnées à des peines de prison, des mandats de dépôt ont été prononcés, mais les sentences ne sont jamais appliquées. Il n’y a pas que le cas de Claudine Razaimamonjy : d’autres dossiers existent, mais ils sont moins médiatisés.

Concrètement, le procureur général envoie des dossiers afin qu’ils soient transmis pour enquête au Bureau anti-corruption (Bianco). Celui-ci s’exécute et procède à des auditions avec l’aide d’officiers de police judiciaire. Mais les personnes mises en cause refusent de se présenter sans être inquiétées. Pourquoi ? Car nous recevons des ordres pour ne pas les poursuivre. La procédure est alors bloquée jusqu’à ce que prescription s’ensuive.

Que va devenir par exemple notre plainte contre le sénateur Riana Andriamandavy [membre du parti au pouvoir, le HVM, et également beau-frère de Claudine Razaimamonjy, NDLR] ? Il a proféré des menaces sur sa page Facebook, où il m’intimait me tenir tranquille si je tenais à la vie. La plainte est en communication au ministère de la Justice, mais nous ne savons pas si le dossier va être instruit.

Faudrait-il modifier la loi pour assurer l’indépendance des magistrats ?

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Nous disposons déjà de lois censées nous protéger. Encore faudrait-il qu’elles soient appliquées ! Des améliorations pourraient toutefois être apportées dans le statut de la magistrature, du Conseil supérieur de la magistrature ou dans le lien de subordination hiérarchique − dont abuse le pouvoir pour donner des ordres illégaux. 

Les autorités se disent prêtes à dialoguer. Avez-vous eu des contacts avec eux ?

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Dès le début, nous avons transmis nos revendications par écrit au président de la République, au Premier ministre et au ministre de la Justice. Mais elles sont restées lettre morte, ainsi que nos demandes d’audience. Seul le secrétaire général du ministère de la Justice nous a invité à discuter avec lui. Nous y sommes allés, mais il nous a avoué qu’il n’avait même pas eu connaissance de nos revendications.

Comment expliquez-vous ce silence ?

À mon sens, le pouvoir joue la politique de l’autruche. Il peut s’agir aussi d’une forme de mépris envers les juges. Ce qui serait tout de même étonnant de la part du ministre de la Justice, qui est lui-même un ancien magistrat !

Mais il faudra bien que le pouvoir nous entende, car nous sommes déterminés à aller au bout de nos revendications. Faudra-t-il encore faire grève ? C’est une possibilité que nous n’écartons pas. La décision a déjà été prise en assemblée générale, où l’ensemble des magistrats de Madagascar étaient représenté.

Revenons au cas de Claudine Razaimamonjy. Arrêtée le 3 avril, elle n’a été placée en détention que le 12 juin, après avoir été autorisée à partir sur l’île Maurice pour une évacuation sanitaire. Même le ministre de la Justice a demandé publiquement sa libération. Comment un tel traitement de faveur est-il possible ?

Il y a un sentiment d’impunité totale parmi les hautes instances du pouvoir. Résultat : ils se permettent tout, même lorsque c’est au vu et au su de tout le monde. C’est une évolution dangereuse, car cela donne l’impression à la population qu’elle peut se faire justice elle-même. On le constate : il y a une recrudescence de la vindicte populaire, qui se traduit par des lynchages de plus en plus fréquents. C’est pour cela que nous nous battons pour l’effectivité de l’état de droit dans notre pays.

Au-delà de Claudine Razaimamonjy, on parle d’un scandale beaucoup plus large susceptible d’éclabousser jusqu’aux plus hautes autorités de l’État. Est-ce que vous confirmez ces soupçons ?

Je préfère le préciser d’emblée : nous ne faisons pas une fixation sur Claudine Razaimamonjy. Elle n’est qu’une personne parmi d’autres mises en cause dans ce dossier. Si l’instruction suit son cours, ce qui semble toutefois difficile aujourd’hui, cela devrait aboutir au démantèlement d’un réseau important de personnes qui abusent de leur pouvoir pour détourner de l’argent public. Nous ne connaissons pas leurs noms exactement. Pour cela, il faudrait que le dossier soit instruit correctement.

Lors de votre intervention sur la chaîne TV5 Monde, vous avez mis en doute le fait qu’elle soit réellement en prison. Confirmez-vous ces doutes ?

Je n’en sais rien. Mais pourquoi les autorités n’ont-elles pas donné la preuve − vu l’ampleur que prend cette affaire − qu’elle était bel et bien en prison ? Par le passé, il est déjà arrivé que l’administration pénitentiaire fournisse la preuve qu’une personne était effectivement en détention. Pourquoi ne pas le faire maintenant ? Ils nous disent simplement : « Croyez-nous sur parole, elle est là ». C’est sûrement le cas, mais une confirmation aurait été la bienvenue.

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