Procès des « biens mal acquis » : 3 ans d’emprisonnement et 30 millions d’euros d’amende requis contre Teodorín Obiang

Le procureur du parquet national financier a requis 3 ans de prison et 30 millions d’euros d’amende, mercredi, à l’encontre de Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit Teodorín, jugé à Paris dans le cadre du procès des « biens mal acquis ».

Teodorín Obiang, le 30 septembre 2015 au siège des Nations Unies (image d’illustration). © Frank Franklin II/AP/SIPA

Teodorín Obiang, le 30 septembre 2015 au siège des Nations Unies (image d’illustration). © Frank Franklin II/AP/SIPA

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Publié le 5 juillet 2017 Lecture : 5 minutes.

Deux des 11 véhicules appartenant à Teodorín Obiang saisis par la justice suisse, dans la zone de fret de l’aéroport de Genève, jeudi 3 novembre 2016. © Laurent Gillieron/AP/SIPA
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Procès des biens mal acquis : un verdict historique

Teodoro Nguema Obiang Mangue, vice-président de Guinée équatoriale, a été condamné vendredi 27 octobre par la justice française à trois ans de prison et 30 millions d’amende avec sursis. Retrouvez tout ce qu’il faut savoir sur ce dossier historique.

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On s’y attendait : le procureur du parquet national financier a estimé, mercredi 5 juillet, que Teodoro Nguema Obiang Mangue s’était rendu coupable de faits de blanchiment en France. Il a requis contre le fils du président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo ce mercredi 5 juillet 3 ans de prison et 30 millions d’euros d’amende, ainsi que la confiscation de tous les biens saisis.

« Vous avez suffisamment d’éléments pour condamner, dans un dossier qui se caractérise en réalité par sa simplicité », a indiqué le procureur en direction du tribunal, qui suivra, ou non, son réquisitoire. Et d’ajouter, au sujet d’une « ombre du président » qui serait surtout « le fils de son père » : « Pour moi, il n’y a pas de place pour la relaxe ».

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« Vous devez laisser de côté les querelles entre les partisans d’un procès historique et ceux qui hurlent au procès politique, et vous devez juger uniquement sur le droit, sur la base d’un dossier dont les éléments sont pour moi assez limpides », a-t-il poursuivi, ajoutant : « M. Nguema a cru pouvoir fouler aux pieds la justice française. J’espère que bientôt, il ne le croira plus. »

« Petit Ubu roi de carnaval et de casino »

Alors que le tribunal venait, comme attendu, de rejeter la question prioritaire de constitutionnalité, jugée « pas assez sérieuse », la partie civile − composée de la Coalition pour la restauration de la démocratie en Guinée équatoriale (Cored) et de Transparency International France − avait auparavant plaidé contre celui qu’elle avait appelé « le champion du blanchiment », « petit Ubu roi de carnaval et de casino ».

« Dans cette affaire, il n’y a que des évidences. L’une d’elles est que le prévenu est richissime et que son peuple est majoritairement très pauvre », avait déclaré Me Jean-Pierre Spitzer, avocat de la Cored, dénonçant les écrans de fumée déployés par la défense et notamment la venue de Simon Mann, « un mercenaire à la solde des Obiang », à la barre.

Dans cette affaire, il n’y a que des évidences

« Comme le parti communiste en URSS, la famille Obiang est le gouvernement parallèle qui dirige réellement un régime de façade. Il vous faut voir plus loin que la surface. L’évidence crève les yeux : les biens mal acquis ont été mal acquis », avait-il poursuivi, réclamant 400 000 euros de dommages et intérêts en faveur de la Cored et des 19 partis qui la composent.

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Une décision qui « restera une oeuvre pour l’humanité »

« La corruption est l’arme de la médiocrité qui abonde, et vous en sentirez partout la pointe », avait à son tour lancé Me William Bourdon, avocat de Transparency International France, citant Cicéron. « C’est une fierté de voir que la France accueille le premier procès d’un cleptocrate qui s’est enrichi au détriment de son peuple », avait-il ajouté, espérant que « le 21e siècle [soit] celui de l’intolérance des peuples vis à vis de ces puissants qui devraient être les plus responsables ».

Vous allez rendre une décision qui fera honneur à la France et à vous-même

« On nous a reproché d’être une justice raciste, mais c’est une houle sinistre, symbole de la stratégie qu’ont en partage des Hissène Habré et autres Milosevic. C’est l’ADN des grands criminels de sang », avait poursuivi William Bourdon car « les crimes d’argent mènent aux crimes de sang ». Se définissant comme « un avocat engagé » face « aux ventriloques du sinistre », et écartant les accusations venues du témoignage de Simon Mann, « un chien de guerre venu déverser des calomnies », il avait alors enjoint le tribunal à prendre une décision « pour l’humanité ».

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Après s’être adressé à Teodoro Nguema Obiang Mangue, « fantôme de prévenu », William Bourdon s’était adressé une dernière fois au tribunal : « Vous allez rendre une décision qui fera honneur à la France et à vous-même. Elle sera sans doute vilipendée par certains, peut-être même brûlée en place publique, mais elle restera une oeuvre pour l’humanité. Soyez-en fier ! »

Au tour de la défense

La plaidoirie de William Bourdon, qui avait notamment tourné en ridicule le jugement d’acquittement prononcé à Malabo, avait alors provoqué les foudres des partisans du prévenu. Parmi eux, l’ambassadeur de Guinée équatoriale en France. « La justice française n’est pas supérieure à la justice équato-guinéenne ! », a glissé le diplomate, présent à l’audience ce mercredi. Lors d’une suspension d’audience qui a précédé le réquisitoire du procureur, il avait critiqué « la haine » de l’avocat français envers la Guinée équatoriale.

La France n’est pas supérieure à la Guinée équatoriale !

La défense de Teodoro Nguema Obiang Mangue, composée de Sergio Tomo, Emmanuel Marsigny et Thierry Marembert, plaidera donc à son tour jeudi 6 juillet afin de convaincre le tribunal de relaxer son client. Réagissant au réquisitoire du procureur, en fin d’audience mercredi, elle a d’ores et déjà fustigé un procès qu’elle considère comme politique, comme elle le fait depuis plusieurs semaines.

« À aucun moment, nous n’avons entendu parler des faits. On fait le procès de la Guinée équatoriale, qu’on qualifie de dictature. On n’est pas dans le droit mais dans la politique », a ainsi déclaré un avocat de la défense, alors que l’audience venait d’être levée.

Vers un appel ?

Après avoir été accusé d’avoir multiplié les « tours de passe-passe », les « manœuvres dilatoires » et les « vulgaires ritournelles », la défense devra abattre jeudi ses ultimes cartes, en tout cas dans ce premier round. Car, nul n’en doute au sortir de la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, si la juge devait prononcer une condamnation de Teodoro Nguema Obiang Mangue, ce dernier ferait aussitôt appel.

L’obstination du prévenu assure au moins à ses avocats des lendemains qui chantent

D’où ce commentaire ironique de William Bourdon : « L’obstination du prévenu assure au moins à ses avocats des lendemains qui chantent ». Et le procureur d’ironiser : « Finalement, cette procédure aura aussi été profitable au prévenu. Grâce à elle, il a été promu 2e puis premier vice-président. Il ne lui reste aujourd’hui qu’une possibilité : le poste de président. Son père a peut-être plus d’inquiétudes à se faire de ce côté plutôt qu’au sujet de prétendus groupes séditieux qui voudraient le renverser ».

« Je suis l’avocat d’un lion », estimait il y a quelques jours Me Sergio Tomo, en parlant de son client Teodoro Nguema Obiang Mangue. Il faudra sans doute toute la hargne d’un fauve et toute la ruse du monde pour renverser la situation de ce dernier. Bien qu’il ne se soit pas présenté à la barre et qu’il continue de jouir de sa liberté de geste et de parole, « Teodorin » n’a à l’évidence jamais été autant acculé.

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