Contestation dans le Rif : le Makhzen ne doit pas avoir peur d’une intelligence de masse

L’opinion publique du Rif est construite de plus en plus aux confins de la rue, des réseaux sociaux et d’une cyber-démocratie. Ce qui crée une désaffection politique et regénère de nouvelles formes d’engagement citoyen et de gouvernance.

Depuis l’arrestation du leader de la contestation, Nasser Zefzafi, le 29 mai, les manifestations sont quotidiennes à Al-Hoceïma. D’autres villes ont été le théâtre de manifestations, comme Rabat, ici le dimanche 11 juin 2017. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

Depuis l’arrestation du leader de la contestation, Nasser Zefzafi, le 29 mai, les manifestations sont quotidiennes à Al-Hoceïma. D’autres villes ont été le théâtre de manifestations, comme Rabat, ici le dimanche 11 juin 2017. © Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA

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  • Ayad Zaroual

    Ayad Zaroual est militant associatif et chercheur au LISST de l’Université de Toulouse. Il a accompagné sur le terrain divers programmes internationaux au Maroc et en France sur la participation citoyenne.

Publié le 23 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

Le mouvement rifain « Hirak » relativise l’intermédiation par les élites traditionnelles. On l’a vu ces derniers jours au Rif, la parole des partis politiques et des imams est remise en cause et devient inaudible. Les gens ordinaires se font leur opinions, leurs points de vue sur ce qui se passe et comment les choses doivent être gérées à partir des réseaux sociaux, des délibérations de la rue, des rapports internationaux et de la prise de parole des ONG. On assiste à une cyber-démocratie en termes de nouvelles arènes de délibération et de discussion. S’y diffuse non seulement l’information mais aussi une intelligence de masse collective qui utilise la rue comme moyen d’expression. Ce qui remet en cause les notions de participation et de citoyenneté.

En particulier, depuis le tremblement de terre du 2004, suite au désœuvrement des populations abandonnées « à ciel ouvert », on a constaté une re-politisation augmentée, un engagement plus proche des préoccupations des habitants, une intelligence collaborative augmentée, un engagement des gens ordinaires dans des associations, des réseaux ou des maisons de quartiers loin du clientélisme partisan. Ce qui créa une nouvelle opinion publique qui se développe aux confins d’un territoire « en marge » et d’une connexion à l’international face à la décharge de l’État. Elle est incarnée par des jeunes et moins jeunes, aux profils hybrides, qui acquièrent le statut de mobilisateur et de porte-voix d’enjeux en question dans la ville.

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Le Hirak du Rif a un label projet

À l’inverse du mouvement du 20 février, le mouvement Hirak du Rif a une emprise territoriale, une présence dans les quartiers, un prolongement (communautaire et associatif) international. Et en particulier, il porte un label projet qui revendique des fiches projets de développement humain faisables et palpables, axés sur la participation des jeunes et la bonne gouvernance.

Le développement d’une intelligence de masse collective, sous estimée et mal appréciée par les pouvoirs.

L’intelligentsia rbatie, ses think-thank et ses élites politiques déconnectées du terrain peinent à comprendre cette défection, cette dé-participation à l’offre publique, et s’obstinent à y voir une démarche identitaire et un refus de dialogue avec les institutions publiques.

Cette « problématisation » d’en bas correspond à une prise de conscience de la rue − depuis les ruines de 2004, accentuée par les éclats du printemps politique − de l’existence d’enjeux locaux qui peuvent être traduisibles en enjeux politiques et qui aboutissent à une mise sur agenda. Mais ces idées se fondent sur l’incarnation de leaders et de passeurs. Les leaders de la mouvance populaire du Hirak, jeunes et militants, sont nés de la jonction de ces séquelles de sous-développement humain, aggravées par l’absence de participation et la stigmatisation du Rifain.

Une intelligence collective

Les revendications affichées du mouvement rifain « Hirak » incarnent un rêve ambitieux, le rêve d’un gouvernement politique avec ou autour d’une communication, d’un dialogue direct entre les décideurs et les citoyens, une sorte d’agora électronique ou participative, un fil de discussion dans lequel pouvait s’exprimer tout citoyen. Plusieurs outils de cette démocratie participative se sont développés en Europe et en Amérique latine et permettent de pallier, dans l’avenir, des intermédiations instrumentalisant (par le blocage) des projets à visée politiques et électorales et aux dépends des besoins de la population.

Pourtant Al Hoceima pourrait être un site d’expérimentation, une ville participative et inclusive

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Aujourd’hui, le dialogue proposé par le gouvernement joue le jeu de l’urgence. Alors que le mouvement lui revendique un nouveau contrat social, un glissement du gouvernement vers un système de gouvernance, une ouverture du système de gouvernement des acteurs vers d’autres acteurs : les acteurs associatifs et les citoyens ordinaires.

L’État Marocain a tout intérêt à capitaliser sur cette intelligence collective pour expérimenter (avec les acteurs locaux et la coopération internationale) des villes participatives engagées pour l’intérêt général et non pas le pouvoir partisan. Il suffit de voir comment les les sociétés civiles basques, les Rhonalpins ou de Mèdellin gèrent la chose publique. Ils jouent un rôle de plus en plus important dans la conception et la mise en place des politiques locales. Dans le Hirak, il est question de gouvernance et de démocratie participative, et non pas de séparatisme. Ce que les think-thank et les élites politiques de Rabat ont du mal à apprécier.

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