« Biens mal acquis » : quand la Françafrique fait irruption dans le procès de Teodorín Obiang

Le procès des « biens mal acquis », dans lequel Teodoro Nguema Obiang Mangue, dit Teodorín, est accusé de détournement de fonds publics, d’abus de confiance et de blanchiment, se poursuivait ce mercredi à Paris. Jeune Afrique y était.

Le fils du président équato-guinéen Teodoro Nguema Obiang Mangue devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 30 septembre 2015 (photo d’illustration). © Frank Franklin II/AP/SIPA

Le fils du président équato-guinéen Teodoro Nguema Obiang Mangue devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 30 septembre 2015 (photo d’illustration). © Frank Franklin II/AP/SIPA

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Publié le 21 juin 2017 Lecture : 6 minutes.

« Ne vous endormez pas. Ce n’est pas Derrick ici ! », glisse malicieusement l’assesseur au public de la 32e chambre correctionnel de Paris, qui patiente avant l’entrée des juges. L’avertissement, qui a déclenché des sourires amusés, n’a pourtant pas lieu d’être : en ce second jour d’audience, mercredi 21 juin, personne ne songerait à fermer l’œil.

Il faut dire que l’enjeu de la matinée est de taille. D’emblée, la défense du vice-président équato-guinéen tire à boulets rouges sur la partie civile, en particulier sur la Coalition pour la restauration d’un État démocratique en république de Guinée équatoriale (Cored), avec l’objectif avoué d’obtenir l’irrecevabilité de sa participation au procès. « Vous devez déclarer irrecevable cette association, qui ne remplit pas les critères pour être partie civile et qui ne cache ses opinions politiques », débute Me Thierry Marembert, avocat de Teodoro Nguema Obiang Mangue.

Lorsque la politique entre au Palais de justice, le droit n’a plus qu’à se chercher un hôtel

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Et d’enchaîner, dans la veine de ce qui avait été dit à l’ouverture du procès, deux jours plus tôt : « Vous ne devez pas faire de ce procès une tribune politique car vous n’êtes pas un tribunal de salut public ! ». Hochement de tête de son confrère, Me Emmanuel Marsigny, qui se lève et enfonce le clou en faveur de Teodorín : « Vous devez éviter que ce procès soit pollué par la politique. La Cored n’a qu’à tenir meeting sur les marches du palais si elle le souhaite ! ».

Reste alors à Me Sergio Esono Abeso Tomo, ancien président de la Cour suprême équato-guinéenne, à ajouter sa conclusion, pleine d’un lyrisme assumé : « Si vous laissez entrer la Cored dans cette salle, avec ses armes de destruction massive, c’est le droit qui en sortira par les fenêtres ! Lorsque la politique entre au Palais de justice, le droit n’a plus qu’à se chercher un hôtel ! »

« La victime, c’est le peuple »

La formule fait mouche, en tout cas chez les partisans du vice-président équato-guinéen, dont l’ambassadeur de Guinée équatoriale en France, Miguel Oyono Ndong Mifumu. Celui-ci acquiesce, mais, très vite, s’agace. Car la défense de la Cored répond aux accusations, avec le sourire. « On nous prête des intentions politiques, ou liées à l’argent, mais que ce soit clair : la Cored ne demandera qu’un euro symbolique de dommages et intérêts. Le reste de la somme qui pourrait être allouée reviendra au peuple. Car, c’est le peuple la seule victime de ce procès, et il est représenté par les partis politiques qui composent la Cored », lance Me Jean-Pierre Spitzer.

La Cored n’a qu’à tenir meeting sur les marches du palais !

Debout, il continue sur sa lancée : « On nous dit que l’on fait de la politique, mais nos confrères de la défense, eux, font de la propagande ! ». Acquiescement de Me William Bourdon, avocat de Transparency International France, autre partie civile. La tournure du débat semble lui convenir et il décline d’ailleurs l’invitation de la juge à prendre la parole. Faussement absent, chewing-gum à la bouche, l’avocat semble surveiller de loin les débats, s’autorisant parfois une sortie de la salle d’audience, d’un pas traînant, pour passer un coup de téléphone. Peut-être en profite-t-il d’ailleurs pour prendre l’air et quitter la chaleur étouffante de la 32e chambre…

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« Maître Bourdon doit nous respecter ! »

La suspension d’audience, une heure seulement après l’ouverture, contente finalement tout le monde. Mais elle ne dure pas, une quinzaine de minutes tout au plus, avant que le tribunal fasse à nouveau son entrée et prononce sa décision : la juge annonce que le procès se poursuivra et que la question de la recevabilité de la Cored sera examinée « au fond », c’est-à-dire avant le verdict final, qui doit tomber le jeudi 6 juillet. Prière donc de déposer les armes à ce sujet. La défense a perdu cette manche et échoue à obtenir une suspension ou un report des joutes. Elle encaisse, et annonce qu’elle dépose au dossier un jugement de la justice équato-guinéenne, dûment traduit en français par un expert assermenté, sur les faits reprochés à Teodoro Nguema Obiang Mangue.

Le tribunal de Malabo a sans surprise conclu à l’acquittement, ce que s’empresse de souligner Me Bourdon d’un rire moqueur. L’avocat de Transparency International France dénonce même cette décision judiciaire comme une « signature de l’incroyable farce équato-guinéenne ». Ce qui lui vaut aussitôt la riposte outragée de Me Sergio Esono Abeso Tomo : « Me Bourdon doit nous respecter ! S’il veut nous insulter, alors j’en ferai de même ! », s’exclame-t-il.

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Un mercenaire dans la manche

Mais la défense a surtout un autre atout, le seul témoin qu’elle présentera à la barre et dont elle révèle alors le nom pour la première fois : Simon Mann, le célèbre mercenaire sud-africain, ancien des commandos britanniques du SAS, impliqué et condamné dans une tentative de coup d’État contre le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo ! Stupeur dans l’assemblée pour ceux qui connaissent ce personnage sulfureux. Quelques journalistes salivent. D’autres spectateurs sourient, comme si le casting du spectacle venait une nouvelle fois de prendre du galon.

Mais encore faudra-t-il rentrer dans le vif du sujet avant de passer aux interrogatoires des sept témoins, dont six de la partie civile, le 26 juin prochain. La juge s’y attelle et se lance dans l’exposé du contexte de ce procès décidément hors-norme. En citant des articles de presse et des rapports d’ONG, elle explique les tenants et les aboutissants de l’affaire. Les « biens mal acquis » pour les nuls en quelque sorte. Me Bourdon s’est une nouvelle fois absenté, alors que la magistrate évoque les 18 voitures de luxe, les chaussures ou encore le hammam de la discorde.

On vous demande de vous asseoir dans le fauteuil d’un juge équato-guinéen tout en ayant dans la main un code pénal français

La défense tente bien une dernière relance. « On vous demande de vous asseoir dans le fauteuil d’un juge équato-guinéen tout en ayant dans la main un code pénal français, mais c’est une aberration », tance Me Marsigny. « Extrêmement caricatural, mais merci pour cet hors d’œuvre de plaidoirie », rétorque Me Bourdon, revenu aux affaires mais qui n’a pas pris la peine de se lever. Chacun, il faut le dire, commence à peiner. La température ne cesse d’augmenter, les heures s’allongent, même si l’horloge de la salle d’audience est visiblement en panne, et l’exposé du contexte est pour le moins fastidieux.

Une plongée en Françafrique

Vient alors le dernier coup de fouet, alors que l’image du soporifique inspecteur Derrick commence effectivement à s’imposer dans les esprits : la juge choisit de donner lecture de la déposition versée au dossier de Robert Bourgi, avocat réputé intermédiaire des présidents d’Afrique centrale chez leurs homologues français, Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy. Que vient donc faire Bourgi dans cette affaire équato-guinéenne ? « Il y a un contexte, auquel il faut s’intéresser », explique la magistrate. Et voici l’auditoire plongé dans les méandres des relations françafricaines, tandis que sont égrenés les noms des Bongo et autres Sassou Nguesso, et recensés les agissements d’Elf et du RPR de Jacques Chirac.

Il est ensuite question d’une valise d’un million d’euros que Teodoro Obiang Nguema Mbasogo aurait, selon Robert Bourgi, remis à Dominique de Villepin pour du « financement politique ». Voilà donc le fameux contexte : l’argent facile, les mallettes et les cabinets noirs. Étrange exposé, censé tendre à l’impartialité, mais qui se retrouve au cœur de la Françafrique en s’appuyant sur l’audition d’un sulfureux intermédiaire interrogés à l’époque, entre autres, par un certain Me Bourdon, aujourd’hui avocat de la partie civile dans ce procès. Certes, la Guinée équatoriale est un pays pétrolier et les intérêts français n’ont jamais été loin, mais le procédé de la juge agace, dans les rangs des soutiens de Teodorín.

On parle presque autant d’Omar Bongo que de Teodorín

Miguel Oyono Ndong Mifumu résiste de plus en plus difficilement à passer ses appels directement depuis la salle d’audience et certains avocats ont quitté leur traditionnelle robe pour une tenue plus adaptée à la canicule parisienne. Heureusement, la juge en termine, à 12h35 passés, cinq minutes après l’heure promise. La cote D331, l’audition de Robert Bourgi, aura fait son effet, alors que les audiences reprendront jeudi 22 juin à 13h30. « Un procès bolchevik », murmure-t-on à quelques pas de la sortie de la salle d’audience. « On parle presque autant d’Omar Bongo que de Teodorín », renchérit-on encore, avant de penser au repas. On ne sait si le droit a fini par fuir le Palais de justice par la fenêtre. Mais une chose est sûre : la Françafrique en a bien passé la porte.

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