Le Maroc et la Cedeao : une adhésion et beaucoup de questions

Il n’y a rien à dire sur la force et l’ancienneté des liens culturels qui unissent le royaume du Maroc aux pays d’Afrique de l’Ouest.

Le roi du Maroc Mohammed VI à Ouarzazate, le 1er avril 2017. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Le roi du Maroc Mohammed VI à Ouarzazate, le 1er avril 2017. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

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  • Gilles Olakounlé Yabi

    Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).

Publié le 20 juin 2017 Lecture : 5 minutes.

Rien à dire sur la nouvelle dimension prise par ces liens sous le roi Mohamed VI, qui a multiplié les voyages dans les pays de la région et qui cultive des relations personnelles très fortes avec des dirigeants d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Rien à dire sur l’articulation entre la diplomatie, la politique et l’économie dans une stratégie africaine réfléchie, pragmatique et déployée sur deux décennies par un État marocain qui a su former, attirer, mobiliser des ressources humaines de grande qualité aussi bien dans les structures publiques que dans les grandes entreprises des secteurs stratégiques.

Il n’y a pas de doute que le royaume du Maroc a préparé son offensive diplomatique de cette année 2017 en réintégrant, de manière spectaculaire, l’organisation continentale, l’Union africaine. La demande d’adhésion à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) n’a peut-être pas été planifiée d’aussi longue date que le retour dans l’UA mais il est clair que les autorités de Rabat ont parfaitement préparé le terrain par leur activisme économique, financier et diplomatique dans tous les pays membres de la Cedeao au cours des dix dernières années.

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Outre les investissements dans des secteurs stratégiques comme les banques et les services financiers, les multiples accords commerciaux, le Maroc a cultivé des relations plus discrètes avec nombre d’acteurs politiques et militaires de premier plan dans les pays de la région, accueille gracieusement des personnalités de ces pays dans ses meilleures structures médicales et débloque parfois des situations politiques compliquées. On se rappelle, par exemple, de l’évacuation médicale en urgence au Maroc en décembre 2009 du fantasque chef de la junte guinéenne Moussa Dadis Camara, gravement blessé par balle, qui s’est transformée en un exil salutaire au Burkina Faso. Ce fut une aubaine à l’époque pour la Cedeao qui cherchait une sortie de crise en Guinée.

les liens multidimensionnels et forts évoqués dans le communiqué de la Cedeao suffisent-ils à justifier une réponse favorable aussi rapide à une demande d’adhésion formulée en avril dernier?

Les services rendus par le royaume chérifien à la Cedeao et à la plupart des pays membres de l’organisation et encore davantage à leurs chefs d’Etat, ont forcément pesé lourd dans la décision du sommet de Monrovia (Liberia) le 4 juin dernier d’annoncer un « accord de principe » pour l’adhésion du Maroc à l’organisation. Mais les liens multidimensionnels et forts évoqués dans le communiqué de la Cedeao suffisent-ils à justifier une réponse favorable aussi rapide à une demande d’adhésion formulée le 24 février dernier?

La Commission de la Cedeao a-t-elle eu le temps d’étudier toutes les implications économiques, commerciales, politiques, sécuritaires, géostratégiques de l’adhésion d’un Etat manifestement plus fort que tous les pays membres de la Cedeao à l’exception du Nigeria, et peut-être même mieux organisé que ce dernier géant ? La Cedeao s’est-elle contentée de voir dans une adhésion du Maroc une occasion historique de renforcer son importance économique et ses capacités de financement des programmes régionaux ?

Il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’adhésion du royaume à la Cedeao. De nombreuses raisons plaident en faveur d’une bienveillance particulière, voire d’une reconnaissance affirmée, des quinze pays membres de l’organisation ouest-africaine à l’égard du Maroc. Les arguments économiques pour une entrée du Maroc bénéfique à la région ouest-africaine sont également plutôt solides.

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Mais la question est de savoir si une organisation qui s’est construite pendant quatre décennies sur des fondations au moins aussi politiques et sécuritaires qu’économiques peut accueillir de nouveaux membres sans que ne soit déclenchée une procédure formelle d’examen de la demande étalée sur au moins une année. Surtout quand la demande émane d’un pays dont l’appartenance à l’espace géographique ouest-africain est discutable.

La Cedeao est une des huit communautés économiques régionales (CER) formellement identifiées par l’Union africaine comme étant les piliers de l’intégration continentale. Le Maroc fait partie de l’Union du Maghreb Arabe (UMA), la CER censée renforcer l’intégration des pays d’Afrique du Nord. Si les critères géographiques ne sont plus déterminants pour l’appartenance à chacune des CER, l’architecture institutionnelle laborieusement construite au niveau de l’UA pourrait être profondément remise en cause. La Cedeao a-t-elle vocation à accueillir tous les Etats africains qui tissent des liens intenses avec ses pays membres ?

L’organisation a de grandes faiblesses et limites mais elle a aussi des acquis remarquables à préserver et à renforcer

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La Cedeao n’est pas seulement un bloc régional commercial. Elle s’est dotée de mécanismes très élaborés dans les domaines de la sécurité collective et même de principes de convergence constitutionnelle visant à en faire aussi une zone d’intégration politique poussée, sans équivalent sur le continent africain. L’organisation a de grandes faiblesses et limites mais elle a aussi des acquis remarquables à préserver et à renforcer. Elle reste une organisation rassemblant des pays très majoritairement pauvres – quoique riches en ressources naturelles – et des États plutôt faibles et dysfonctionnels dont plus de la moitié environ a connu des conflits armés au cours des deux dernières décennies.

L’organisation connaît une période délicate depuis que la grande puissance démographique et économique, le Nigeria, fait face à des problèmes sécuritaires internes graves incarnés par la violence de Boko Haram. Dans un tel contexte, où des réformes institutionnelles indispensables pour relancer l’organisation régionale sont repoussées depuis de nombreuses années, l’intégration, sans préparation réelle, d’un nouveau pays membre, fût-il un potentiel moteur régional, semble imprudente.

Le Maroc n’a pas eu besoin d’être membre à part entière de la Cedeao pour établir une présence économique impressionnante dans la région en une décennie

Beaucoup se réjouissent de la perspective d’une hausse considérable des investissements, du commerce et de l’engagement économique du Maroc dans les pays d’Afrique de l’Ouest à la suite d’une adhésion à la Cedeao. Cela est probable mais le Maroc n’a pas eu besoin d’être membre à part entière de la Cedeao pour établir une présence économique impressionnante dans la région en une décennie. Les multiples accords bilatéraux existants complétés par un accord spécifique entre le royaume et la Cedeao, conçu et négocié entre les deux parties, suffiraient à renforcer encore davantage leurs liens économiques, commerciaux mais aussi politiques et culturels.

Compte tenu des différences évidentes entre les niveaux de structuration, de diversification, de modernisation de l’économie marocaine et ceux des économies des pays de la Cedeao, un statut particulier de partenaire stratégique privilégié accordé par la Cedeao au royaume aurait peut-être été plus approprié. Cela aurait pu ouvrir une période d’approfondissement des relations sur tous les plans avec la formation d’une vision claire, des deux côtés, des avantages espérés.

Si les chefs d’Etat de la Cedeao avaient adopté une position très favorable à un renforcement des liens politiques, économiques et culturels avec Rabat sans pour autant donner immédiatement un accord de principe à une adhésion, ils auraient agi comme les dirigeants marocains l’ont fait en particulier au cours de la dernière décennie. En prenant le temps d’articuler une vision claire de leurs objectifs définis en fonction des intérêts de la communauté régionale et en basant les décisions politiques sur un travail approfondi préalable d’analyse et de prospective.

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