Madagascar : un patron de la communauté karana raconte sa course contre la montre pour sauver son fils kidnappé

Yanish Ismaël , 26 ans, a été enlevé le 14 mai dernier par des personnes non identifiées. Un policier est mort en tentant d’empêcher ce kidnapping, dernier en date d’une longue série qui touche la communauté indo-pakistanaise des karanas, dont une grande partie est aussi de nationalité française. Jeune Afrique a interrogé son père, Danil, à qui les ravisseurs auraient demandé une rançon.

Dans les rues d’Antananarivo, en février 2015. © Martin Vogl/AP/SIPA

Dans les rues d’Antananarivo, en février 2015. © Martin Vogl/AP/SIPA

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Publié le 25 mai 2017 Lecture : 4 minutes.

« Dépourvu. Vidé ». Depuis le 14 mai et le kidnapping de son fils Yanish, Danil Ismaël subit une véritable guerre des nerfs de la part des ravisseurs. La dernière fois qu’il les a eu au bout du fil, le 21 mai, s’était pour s’entendre dire « ton fils ne va pas bien. Dépêche-toi de payer, ce n’est pas le premier que nous tuerons. Ni le dernier ». Un peu plus tôt, le même jour, le patron de la Société malgache de transformation de plastiques (SMTP), groupe diversifié qui emploie plus de 1 500 personnes sur la grande île, avait été rendre hommage à Joseph Théophile Livatiana Nomenjanahary, le policier qui s’était courageusement interposé lors du rapt et qui est mort de ses blessures à la polyclinique d’Ilafy.

En voyage d’affaires dans la région de Nosy Be, Danil Ismaël n’était pas présent sur les lieux du drame, mais sa famille lui a depuis raconté les événements, dans le moindre détail. « Un dimanche par mois, mon fils se rendait au cimetière musulman d’Ilafy, pour visiter la tombe de ses grands-parents », commence à raconter ce membre éminent de la communauté karana. Yanish, 26 ans, est alors accompagné de son jeune neveu et ne juge pas utile de se faire escorter par l’un des gardes du corps de la famille. Après s’être recueilli devant la sépulture en compagnie de ses oncles, il est un peu moins de 10h30, quand Yanish se dirige vers la sortie et monte dans sa voiture, quand un 4×4 surgit et bloque le passage. Armés de fusils d’assaut et cagoulés, plusieurs hommes bondissent hors du véhicule, mettent en joue le plus jeune des fils Ismaël, le sortent de sa berline et l’obligent à grimper dans la leur.

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Entre temps, l’officier de police Livatiana Nomenjanahary, présent sur place pour escorter une autre grande famille karana, les Tahora, sort son arme et, selon plusieurs témoins, tire en l’air. Les ravisseurs répliquent immédiatement et l’atteignent de deux balles à l’abdomen. « D’excellents tireurs car ils étaient distants d’une bonne cinquantaine de mètres », croit savoir Danil Ismaël. La scène n’a pas duré deux minutes, devant une centaine de personnes médusées. Moins d’une demi-heure plus tard, le téléphone de Danil Ismaël sonne. Au bout du fil, les kidnappeurs : « Votre fils est entre nos mains ».

Une demande de rançon proche du million d’euros

En état de choc, le père de Yanish regagne la capitale et prend contact avec le colonel Robin Joubert, attaché de sécurité intérieure à l’Ambassade de France à Madagascar. Il est dans le même temps contacté par l’Ambassadeur de l’Inde à Antananarivo, qui se dit consterné par les événements qui ciblent ces derniers temps la communauté Karana, victime depuis le début de l’année, de près d’une dizaine d’enlèvements, plus ou moins médiatisés, à travers le pays. A 17h04 exactement, le portable de Danil Ismaël retentit une nouvelle fois. Les ravisseurs se font alors plus précis : « Aucun dépôt de plainte et si tu coopères, nous ne ferons rien à ton fils ». Ils parlent également pour la première fois de rançon. « Une somme énorme, en devise étrangère », assure Danil Ismaël, sans plus de précision. Bien plus que les 25 000 euros demandés trois ans plus tôt pour libérer un neveu de l’homme d’affaires, mort dans des conditions aujourd’hui encore mystérieuses, malgré le règlement de la rançon.

Bien que plusieurs ministres se soient relayés, à titre privé, dans la soirée du 14 mai auprès de la famille Ismaël, les relations que cette dernière entretient avec les services de police de Madagascar sont plutôt distantes, du fait qu’aucune plainte n’ait été déposée. Dani Ismaël a par contre placé beaucoup d’espoirs dans les autorités françaises, via l’ambassade où il se rend le 17 mai, et le Collectif français d’origine indienne de Madagascar (CFOIM), créé justement pour gérer ce type de crise.

La France est depuis longtemps déjà en première ligne sur ce dossier. L’ancien ambassadeur François Goldblatt a même remis en février 2015 aux autorités malgaches une liste de suspects, susceptibles d’être liés à ces affaires d’enlèvements intervenues entre 1995 et 2014. Le document qui, selon la presse malgache, pourrait comporter les noms de plusieurs membres des différents services de sécurité du pays, voire de la communauté d’affaires karana elle-même, a aujourd’hui disparu, après avoir, semble-t-il, été à l’origine du rappel anticipé à Paris du diplomate, aujourd’hui en poste en Érythrée.

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Des complicités parmi les karanas ?

Pour Danil Ismaël, s’il ne fait aucun doute que les ravisseurs sont Malgaches. Ils pourraient bien s’appuyer sur certaines complicités karana. « Les ravisseurs sont en général très bien renseignés », confirme un journaliste de la capitale. De là à voir un règlement de compte entre les familles les plus influentes d’une communauté qui compte parmi les principales puissances financières de l’île, il n’y a qu’un pas que refusent, pour l’instant, de franchir les enquêteurs.

Bientôt deux semaines après les événements, les recherches avancent lentement. Faute de plainte officielle, la police judiciaire malgache, en liaison avec le CFOIM et les services de l’ambassade de France, ne peut travailler qu’à partir des éléments que la famille veut bien leur communiquer. « Ce sont eux qui mènent en direct les négociations avec les ravisseurs, notamment pour faire baisser le montant de la rançon », explique un proche du dossier. Les ravisseurs ont déjà assuré à plusieurs occasions qu’ils avaient le temps. Surtout que la profusion de puces téléphoniques quasi-gratuites, dans un pays où aucune pièce d’identité n’est demandée lors de l’acte d’achat, empêche toute géolocalisation des appels sur la durée. Presque un comble, alors que le principal opérateur du pays, Telma, est dirigé par une personnalité de la communauté karana, Hassanein Hiridjee.

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*Erratum :  l’information que nous avons publiée sur le montant de la rançon n’a pas été confirmée.

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