RDC : la révolution de l’AFDL a-t-elle fini par dévorer ses propres enfants ?

Vingt ans après la chute de Mobutu, peu de compagnons de lutte de Laurent-Désiré Kabila, alors chef de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), sont encore aux affaires. Que sont-ils devenus ?

Des Congolais posent devant le buste de Laurent-Désiré Kabila, le 17 mai 2005, à Kinshasa. © Schalk Van Zuydam/AP/SIPA

Des Congolais posent devant le buste de Laurent-Désiré Kabila, le 17 mai 2005, à Kinshasa. © Schalk Van Zuydam/AP/SIPA

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Publié le 22 mai 2017 Lecture : 6 minutes.

Une affiche représentant le président zaïrois jetée dans les flammes, fin 1996, à Goma. © CHALASANI/SIPA
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Certains se sont installés à l’étranger, d’autres ont basculé dans l’opposition et les moins chanceux ont été soit assassinés soit emprisonnés. Seuls quelques-uns d’entre eux exercent encore aujourd’hui des responsabilités au sommet de l’État. Visiblement, les tombeurs de Mobutu, le 17 mai 1997, ont connu des trajectoires bien différentes. « La Révolution, comme Saturne, dévore ses enfants », écrivait le dramaturge allemand Georg Büchner.

Où sont passés les cofondateurs de l’AFDL ?

En novembre 2000, Laurent-Désiré Kabila, le chef rebelle devenu président de la République, fait exécuter l’un de ses principaux compagnons de lutte armée, Anselme Masasu. Deux mois plus tard, le 16 janvier 2001, il est à son tour assassiné par l’un de ses propres gardes du corps. André Kisase Ngandu, lui, est tué dans des circonstances non élucidées au début de la rébellion. Ainsi disparaissent trois des quatre cofondateurs de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) !

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Seul Deogratias Bugera est encore en vie. À l’arrivée à Kinshasa, en 1997, cet architecte tutsi formé en Afrique du Sud ne se voit pas nommé ministre. Il garde néanmoins son poste de secrétaire général de l’AFDL jusqu’à la rupture en 1998 avec son camarade Laurent-Désiré Kabila. Après un bref passage au sein de la nouvelle rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), soutenu par les ex-alliés rwandais et ougandais, Bugera retourne en Afrique du Sud et décide de se retirer de la vie politique active. « Il ne s’était pas retrouvé au poste qu’il espérait dans le nouveau groupe rebelle », confie un ancien chef rebelle.

Quid de Bizima Karaha et de Joseph Kabila ?

Même itinéraire ou presque pour Bizima Karaha. Cet autre Tutsi, ancien étudiant en médecine en Afrique du Sud, rejoint l’AFDL à Goma et parvient toutefois à s’imposer comme l’une de ses figures emblématiques. « De tous ceux qui ont rejoint la rébellion plus tard, il était le seul à avoir été recommandé par des alliés rwandais », commente un de ses anciens camarades.

Très vite, Bizama Karaha devient « Monsieur diplomatie » de l’AFDL, puis ministre des Affaires étrangères après la chute de Mobutu. Après s’être retourné contre Kabila lors de la nouvelle rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), il vit aujourd’hui en Afrique du Sud et se concentre sur ses affaires. Il détient notamment un important cheptel dans l’est du pays. Et des rumeurs insistantes à Kinshasa l’étiquettent comme l’un des « conseilleurs occultes » de l’actuel chef de l’État congolais. « Que nenni ! » jure l’entourage de Joseph Kabila – qui a lui aussi participé à la guerre de l’AFDL aux côtés de son père Laurent-Désiré Kabila.

Joseph Kabila, président de la RDC, devant le portrait de son père, le 23 mars 2006 à Kinshasa. © Vincent Fournier/JA

Joseph Kabila, président de la RDC, devant le portrait de son père, le 23 mars 2006 à Kinshasa. © Vincent Fournier/JA

Collaborateurs de Kabila père à Kabila fils

Trop peu de premiers collaborateurs de Kabila père peuvent se prévaloir aujourd’hui d’avoir trouvé grâce aux yeux de Kabila fils. À l’instar du général François Olenga, chef de la maison militaire du président de la République. Ancien exilé en Allemagne, il rejoint l’AFDL à ses débuts. « En fait, il avait déjà quelques combattants dans l’est du pays qui ont fait jonction avec ceux de Kabila », précise Léonard She Okitundu, vice-Premier ministre en charge des Affaires étrangères. Lui-même cadre de la première heure du mouvement armé.

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She Okitundu, alors qu’il se trouve en exil à Genève, est approché par le réseau du commandant Kisasu Ngandu qui « cherche alors une structure politique pour son mouvement », membre de l’AFDL. À l’époque, le message de la rébellion a du mal à passer auprès des Congolais de la diaspora. La nouvelle recrue s’emploie alors à « convaincre » ses compatriotes du bien-fondé de la lutte armée en cours. Il anime plusieurs conférences dans ce sens et se déplace de temps à temps sur le terrain pour rencontrer les dirigeants de l’AFDL. Ces derniers lui confieront alors la charge d’initier une procédure judiciaire pour obtenir la saisie des « biens mal acquis » de Mobutu en Suisse.

Dans l’appareil sécuritaire du pays, Joseph Kabila fait également confiance au général Charles Bisengimana, passé à l’École de formation d’officiers (EFO) du Katanga et ex-élément de la Garde civile de Mobutu. L’officier tutsi a ensuite rallié l’AFDL qui fit de lui le chef de la police à Goma. Aujourd’hui, il est patron de la police de l’ensemble du pays.

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Les recasés du régime

Sans être au cœur du pouvoir comme Olenga, She ou Barnabé Kikaya Bin Karubi (aujourd’hui conseiller diplomatique du chef de l’État), d’autres premiers collaborateurs du Mzee issus de la diaspora ont été eux aussi recasés ici et là. Abdoulaye Yerodia Ndombasi, 84 ans, ami personnel de Kabila père, siège au Sénat, Mawapanga Mwana Nanga, premier ministre des Finances de l’après Mobutu, a été nommé ambassadeur au Zimbabwe, Andre Kapanga, ancien représentant de la RDC aux Nations unies, est directeur général de Tenke Fungurume Mining, le complexe de cuivre et de cobalt le plus moderne du pays, Mutomb Tshibal, ancien combattant de l’AFDL, est ambassadeur de la RDC à Cuba… La liste n’est pas exhaustive.

Plusieurs chercheurs et enseignants de l’université de Lubumbashi avaient également rejoint l’AFDL lorsque la capitale économique est tombée sous le contrôle des rebelles. Issus de cette vague aussi quelques-uns sont encore aux affaires : Henri Mova Sakanyi, ministre des Transports dans le premier gouvernement de Kabila père, aujourd’hui secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, parti de Kabila fils), après avoir été ambassadeur en Belgique, Séraphin Ngwej, ambassadeur itinérant du chef de l’État depuis plus de 10 ans.

Passés de l’autre côté

Certains ex-cadres de l’AFDL éprouvent aujourd’hui du « mal à s’identifier au régime en place à Kinshasa ». C’est le cas de Moïse Nyarugabo. Lui qui a tout quitté à Lubumbashi, dans le sud du pays, pour rejoindre la rébellion dès octobre 1996. Il n’avait que 30 ans et travaillait au sein de l’ONG humanitaire Word Vision International. « Lorsque la guerre éclate dans l’Est, j’étais contrait d’aller me réfugier en Zambie parce qu’une chasse aux Banyamulenge (des Tutsis congolais) était ouverte dans le Katanga », explique-t-il. De la Zambie, l’avocat gagne les villes orientales de la RDC et va à la rencontre des dirigeants rebelles. Et ne tarde pas à taper dans l’œil de Laurent-Désiré Kabila. « Il m’a proposé de travailler avec lui », dit celui qui est devenu alors le « secrétaire particulier » et « dircab » du Mzee.

Nos alliés commençaient à se comporter comme en pays conquis.

La confiance entre les deux hommes se rompt en 1998, lorsque Kabila père décide de renvoyer les troupes rwandaises chez eux. « Nos alliés commençaient à se comporter comme en pays conquis. En fait, entre nous et le Rwanda à l’époque, il n’y avait pas une identité d’intérêts mais une conjonction d’intérêts : Kigali voulait éradiquer la menace des FDLR [rebelles rwandais présents en RDC, NDRL], nous voulions faire tomber une dictature », tient à rappeler She Okitundu.

Toujours est-il que cette rupture emporte quelques anciens compagnons de lutte qui s’engagent dans une nouvelle rébellion. Nyarugabo en fait partie. Il ne reviendra au pays qu’à la faveur d’un accord de paix signé à Sun City entre 2002 et 2003. Il est aujourd’hui sénateur, élu de Kinshasa. Son ex-camarade rebelle Azarias Ruberwa, ancien vice-président de la République pendant la transition (2003-2006), s’est assagi et se rapproche du régime de Kabila fils. Il a été confirmé récemment ministre d’État au sein du gouvernement de Bruno Tshibala.

Mwenze Kongolo, premier Garde des Sceaux de l’ère Kabila père, comme tant d’autres premiers collaborateurs du Mzee, campe encore dans l’opposition depuis la mort de son mentor. Un assassinat mis sur le dos du colonel Eddy Kapend, ancien aide du camp de Laurent-Désiré Kabila. Cet ex-officier de l’armée zaïroise, commandant du bureau 2 à Lubumbashi en charge de renseignement militaire, avait rallié l’AFDL dans le Kivu alors qu’il s’y trouvait pour une mission de repérage. Une fois à Kinshasa, début 1998, il est successivement nommé aide du camp à la présidence et chef d’état-major particulier du chef de l’État. Aujourd’hui condamné à la peine capitale, il croupit dans la prison de Makala et n’a jamais cessé de crier son innocence.

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