Maroc : Ilyas El Omari s’insurge contre la « situation lamentable » d’Al Hoceïma

Le président de la région actuellement la plus agitée du Maroc évoque tour à tour le chômage des jeunes, le cannabis et la contrebande. Sans langue de bois.

Ilyas El Omari, secrétaire général du PAM et président de la région Tanger-Tétouan-El Hoceima. © Hassan Ouazzani / JA

Ilyas El Omari, secrétaire général du PAM et président de la région Tanger-Tétouan-El Hoceima. © Hassan Ouazzani / JA

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 27 avril 2017 Lecture : 6 minutes.

Depuis quelques semaines, Ilyas El Omari, le secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM), ne cesse de nourrir les polémiques sur la situation agitée dans la région qu’il préside…

Sur sa page Facebook, il enchaîne les publications sulfureuses, confiant son « chagrin » et son « impuissance » suite au décès de trois contrebandières « martyrs » sur « les frontières chimériques » de Ceuta. Il s’y demande pourquoi « certaines parties » ne veulent pas ouvrir le dossier du cannabis qui selon lui représente plus de 80% de l’économie de la région. Il dénonce aussi tous ceux qui, dit-il, veulent torpiller le droit de manifester des Rifains et des Marocains en général, pourtant inaliénable.

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Lors d’une réunion, il a même menacé de démissionner de son poste de président de la région. Mercredi 26 avril, la Cour d’appel d’Al Hoceïma a condamné sept personnes impliquées dans la mort du poissonnier Mouhcine Fikri à des peines allant de 5 à 8 mois de prison ferme. Mais la situation est toujours tendue.

Interview sans langue de bois avec celui que ses détracteurs affublent parfois du titre « d’ami du pouvoir ».

Jeune Afrique : Y a-t-il encore des manifestations à Al Hoceïma ?

Ilyas El Omari : Les manifestations, il y en a partout au Maroc. Chaque jour, on en recense 125 aux quatre coins du pays. Les gens se sont focalisés sur Al Hoceïma parce que la ville traîne des boulets. Elle est classée dernière en terme d’accès à l’emploi.

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Plus de 81% de son économie provient de la culture et de la vente de cannabis si on se réfère à un rapport de l’Agence de développement des provinces du Nord datant de 2006. Les 19% restants sont issus des transferts d’argent de la diaspora rifaine, de la pêche et d’autres secteurs.

Avant 2008, l’argent du cannabis faisait tourner la province

Le problème est le suivant : avant 2008, l’argent du cannabis faisait tourner la province. Mais depuis cette date, les revenus partent ailleurs, même si les cultivateurs de cannabis continuent de vendre leur récolte. Un récent rapport américain a estimé que les revenus provenant du cannabis au Maroc équivalaient à 23 milliards de dollars chaque année. Si on réservait un seul de ces milliards à Al Hoceïma, elle deviendrait comme Monaco !

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Autre mal de la région : les Rifains de l’étranger qui transféraient de l’argent à leurs familles sont au chômage, à cause de la crise. Et pour ne rien arranger, le secteur de la pêche est en pleine débâcle.

Al Hoceïma est pourtant réputée être une région poissonneuse…

Elle l’était dans les années 80. Elle abritait six usines de conserves de poissons. Aujourd’hui, ces usines ont toutes fermé. La raréfaction du poisson et le repli des bateaux de pêche sur d’autres zones poissonneuses ont ébranlé les affaires de plus de 6 000 personnes, qui vivaient directement ou indirectement de l’activité du port d’Al Hoceïma.

La situation est donc toujours précaire à Al Hoceïma ?

Oui, et elle le restera tant que nous n’aurons pas trouvé une solution au chômage des jeunes. D’abord en redynamisant l’économie de la région et ensuite en permettant à ces jeunes d’accéder à la fonction publique.

Elle leur est inaccessible, à cause du système des concours nationaux qu’organise chaque année l’administration. Ceux qui réussissent sont généralement issus des villes du centre, parce qu’ils ont un meilleur niveau d’éducation. Il n’y a pas d’écoles privées à Al Hoceïma, l’enseignement n’est pas au niveau. Je viens de m’accorder avec le gouvernement pour faire en sorte que ces concours de recrutement se fassent au niveau local, afin d’améliorer les chances de réussite des candidats issus de la région.

Est-ce pour toutes ces raisons que les habitants d’Al Hoceïma manifestent ?

L’origine des manifestations à Al Hoceïma est simple : les gens qui passaient leurs journées dans les cafés à ne rien faire ont investi la rue.

Les autorités marocaines disent que cette rébellion est téléguidée de l’étranger…

En tant qu’élu, je ne peux pas vous dire si cela est vrai ou non. Si elles ont des preuves, il faut qu’elles passent à l’action. Si elles ont des soupçons sur quelqu’un, qu’elles aillent au tribunal.

Depuis quelque semaines, vous adoptez un ton révolutionnaire pour évoquer ce qui se passe dans votre ville. Faites-vous de la récupération politique pour gagner la sympathie de vos électeurs ?

Pas du tout. Je suis un enfant de cette région. La situation est lamentable. En plus, je dirige un parti d’opposition (le PAM, NDLR). Directement ou indirectement, le gouvernement est responsable de ce qui se passe.

Aller jusqu’à menacer de quitter votre poste de président de région en plein Conseil, n’est-ce pas  excessif ?

Les gens n’ont pas compris le contexte de mes propos. Certains élus du Conseil m’ont demandé de programmer des projets d’infrastructures qui étaient hors budget. Le gouvernement nous accorde chaque année entre 400 et 450 millions de dirhams [entre 37 et 41 millions d’euros]. Avec cette maigre enveloppe, on ne peut pas tout faire : construire des hôpitaux, des autoroutes, des écoles… Il fallait établir des priorités. J’ai dit à ces élus que je leur céderais ma place de président, s’ils souhaitaient prendre la décision à ma place. Ils ont fini par accepter mes priorités et se sont engagés à demander au gouvernement d’augmenter notre budget.

Vous avez aussi comparé la situation de Ceuta et Melilla à celle de la Cisjordanie… 

J’ai visité Al Qods. J’ai vu les check-points israéliens. Les frontières entre le Maroc et ces deux villes sont les mêmes que celles qu’on trouve entre Israël et la Cisjordanie. J’ai vu les mêmes murs en béton, les mêmes grillages électriques, les mêmes soldats aux aguets…

Qu’est ce qui empêche Rabat et Madrid de s’asseoir autour de la table pour déterminer ce qu’ils gagnent et ce qu’ils perdent à Ceuta et Mellila ?

Que proposez-vous alors ? Abolir les frontières ?

Je n’ai ni le pouvoir, ni les moyens de réactiver ce dossier. À chaque fois que j’en parle, on me dit que c’est l’administration centrale qui le gère. Mais à la fin, c’est moi qu’on sollicite pour colmater les brèches. Chaque jour, je suis appelé à résoudre des problèmes liés à l’immigration. Plus de 40 000 Subsahariens sont sur mon territoire, dont beaucoup espèrent un jour rejoindre l’Europe. 

Que demandez-vous ?

Je voudrais juste que les gouvernements marocain et espagnol se réunissent autour d’une table pour trouver une solution. Il n’y a pas longtemps, trois femmes sont mortes dans le passage frontalier de Ceuta, dont deux piétinées dans les bousculades.

Les autorités marocaines n’ont jamais osé ouvrir le dossier de Ceuta et Melilla…

Pourquoi avoir peur de l’ouvrir ? Le Maroc et l’Espagne sont des voisins historiques. À mon avis, on peut trouver une solution modérée à ce dossier. Qui aurait cru que l’affaire du Sahara allait s’acheminer vers une autonomie sous souveraineté marocaine ? Les positions politiques évoluent avec le temps.

La génération de Franco qui a dominé l’Espagne est en train d’être supplantée par celle de Podemos, des activistes catalans… Même chose au Maroc. Nous sommes en plein changement générationnel. Nous ne voyons plus l’Espagne comme un pays colonisateur, mais les grillages qui entourent Ceuta et Mellila incarnent toujours cette colonisation.

Qu’est ce qui empêche Rabat et Madrid de s’asseoir autour de la table pour déterminer ce qu’ils gagnent et ce qu’ils perdent dans ces deux villes ?

Ceuta et Melilla sont encore vitales dans l’économie du nord du Maroc…

La contrebande fait vivre près de 4 000 ménages dans le nord. Mais elle fait perdre à la douane marocaine près de 15 milliards de dirhams (1,3 milliard d’euros) chaque année. Demain, si le gouvernement multiplie les usines de production, tous les jeunes trouveront du travail. Plus personne n’aura besoin de recourir à la contrebande pour vivre.

Attendez de voir les répercussions de la nouvelle ville industrielle que les Chinois vont construire près de Tanger ! Le dossier de Ceuta et Melilla se posera tôt ou tard.

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