Nigeria : l’armée en guerre contre les raffineries illégales

Remi Fadairo, commandant au sein de l’armée nigériane, pointe le doigt en direction d’un large nuage de fumée noire qui s’élève au dessus du Delta du Niger : une raffinerie artisanale de pétrole.

Une raffinerie artisanale de pétrole abandonnée dans l’État de Bayelsa, au Nigeria, en mai 2013. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Une raffinerie artisanale de pétrole abandonnée dans l’État de Bayelsa, au Nigeria, en mai 2013. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Publié le 22 avril 2017 Lecture : 4 minutes.

« Allons-voir si on peut en faire notre dîner, de ces trafiquants ! » ricane-t-il.

Le colonel de 44 ans a les épaules larges et traîne sa fatigue dans des bottes en caoutchouc, enfoncées dans la boue noire d’une terre engluée de pétrole.

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Une production en chute libre

La Force Conjointe de l’Opération « Delta sécurisé » sillonne les immenses marécages de la région de Port Harcourt (sud-est) pour protéger la richesse la plus précieuse du Nigeria : ses infrastructures d’hydrocarbures.

L’année dernière, des groupes armés ont attaqué sans relâche oléoducs et plateformes pétrolières, promettant de mettre l’économie du Nigeria à genoux. La production a chuté jusqu’à 1,4 million de barils par jour (contre 2,1 en moyenne), et a entraîné le géant africain dans une grave récession.

Des négociations avec les rebelles

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Abuja s’est engagé dans des négociations avec les rebelles, et les sabotages ont cessé. Mais pour les troupes restées sur place, le combat est loin d’être fini. Il est juste différent.

La priorité de l’armée désormais est de faire la guerre aux raffineries artisanales et illégales, qui sont, selon elle, la principale source de financement de ces groupes ultra-perfectionnés.

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« Les deux sont liés. Quand ils ne font pas exploser les infrastructures en signe de rébellion, ils font ça », explique le colonel Fadairo, les pieds toujours embourbés dans le pétrole.

« Ils reviennent toujours »

Des sachets vides d’alcool, des paquets de nouilles chinoises et des mégots de cigarettes flottent toujours dans des flaques de pétrole irisées. Les derniers restes des trafiquants de l’or noir.

« On détruit leurs installations, mais ils reviennent toujours », se désole le colonel Fadairo.

Dans ces raffineries illégales, les trafiquants percent des trous dans les oléoducs des grandes compagnies étrangères telles que Shell ou Eni qui traversent le Delta, avant de raffiner le pétrole de manière ‘artisanale’ dans des bacs brûlants aussi gros que des voitures.

Décor cataclysmique

Le rebut est ensuite directement déversé dans la mangrove, transformant ce que l’on imagine avoir été un paysage paradisiaque en cauchemar monochrome de gris, entouré de squelettes d’arbres morts calcinés.

Ce décor cataclysmique n’est que le signe visible d’une industrie informelle qui pèse 8 milliards de dollars annuels, selon un rapport de Chatham House, un think-tank basé à Londres (2013).

« La corruption endémique du Nigeria crée un mécontentement social, une rupture avec l’État de droit, et la criminalité est normalisée et finance les groupes rebelles », analyse Ian Ralby, conseiller en sécurité et fondateur de I.R. Consilium.

Une région extrêmement pauvre

Le mois dernier, les troupes du colonel Fadairo ont détruit à elles seules plus de 10 raffineries, qui font travailler en moyenne 50 hommes, travaillant de nuit pour ne pas être repérées par l’armée.

Dans cette région extrêmement pauvre, dont l’économie locale est tout aussi dévastée que ses forêts, ce trafic représente une source d’emploi importante.

Les rebelles comme les Vengeurs du Delta, particulièrement actifs en 2016, affirment que l’or noir leur appartient, et que le raffiner sur place est une manière de tirer profit de cette ressource qui part normalement bien loin du Delta, dans les caisses des compagnies pétrolières étrangères ou du gouvernement nigérian.

La question de l’emploi

Le vice-président Yemi Osinbajo a été sensible à cette revendication lors des négociations avec les groupes armés, promettant de légaliser certains de ces ateliers en les transformant en « raffineries modulaires ».

« Il faut créer des opportunités d’emploi et un environnement économique bénéfique pour les communautés afin de sortir de cette spirale de violences », a-t-il affirmé après des mois de silence et de menaces de la part d’Abuja.

Un équilibre fragile

Cette branche d’olivier déposée au milieu de la mangrove calcinée a été reçue chaleureusement par les leaders communautaires de la région. Mais ce trafic extrêmement lucratif profite tout autant aux employés pauvres qu’aux groupes qui les emploient, et aux autorités corrompues, qui réinjectent l’argent dans leur campagne politique.

Ne pas rompre de manière trop brutale l’équilibre entre tous ces acteurs est un exercice délicat, au risque d’entraîner des violences, ou pire pour le Nigeria, qui est toujours en pleine crise économique, de nouvelles attaques de grande ampleur contre ses infrastructures.

Jouer au chat et à la souris

En attendant, les forces armées continuent à jouer au chat et à la souris avec les trafiquants. Vers 10h00 du matin, le colonel, ses hommes, leurs gilets de sauvetage et leurs bottes en caoutchouc arrivent sur une autre raffinerie.

Leur bateau s’échoue sur une plage, en même temps que des vagues gorgées de pétrole. Au loin, un groupe d’hommes grimpent dans un canot à moteur et disparaissent aussitôt dans les marécages.

« Parfois, ils nous échappent », lâche un officier. « L’eau des marécages n’a pas de limites ».

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