Lobbying et communication : les « faiseurs de roi » débarquent en Afrique

Politiques, hommes d’affaires, leaders d’opinion… Ils sont de plus en plus nombreux à s’offrir les services de sociétés de conseil britanniques et américaines pour se façonner une image. À la veille d’élections cruciales au sud du Sahara, les contrats décrochés par ces officines peuvent atteindre le million d’euros.

(De g. à dr.) Marcus Courage, Tony Blair et David Axelrod. © Africa Practice; Fabio de Paola/Rex Features; Charles Dharapak/AP/Sipa

(De g. à dr.) Marcus Courage, Tony Blair et David Axelrod. © Africa Practice; Fabio de Paola/Rex Features; Charles Dharapak/AP/Sipa

Patrick Smith est le rédacteur en chef de The Africa Report, un magazine mensuel qui se concentre sur la politique et l’économie en Afrique. © DR

Publié le 9 janvier 2015 Lecture : 5 minutes.

Pour eux, 2015 s’annonce comme un grand cru en Afrique. Une année électorale importante au sud du Sahara, avec pas moins de cinq scrutins cruciaux (Nigeria, Côte d’Ivoire, Guinée, Burkina Faso, Togo…). Une période durant laquelle ils vont pouvoir vendre aux clients africains leur savoir, s’efforcer de redorer leur blason, leur façonner une image qui leur assurera des succès décisifs.

Eux, ce sont les gourous internationaux de la communication et du lobbying, des faiseurs de roi. Dans la région, des groupes comme Havas Worldwide (anciennement Euro RSCG), la filiale de Bolloré ayant oeuvré à l’élection d’Alpha Condé en Guinée en 2010, sont déjà bien implantés et réputés. Mais depuis quelque temps, des concurrents venus de Washington et de Londres montent en puissance sur le continent.

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Lobbying : 5 cabinets qui comptent sur le continent

Africa Practice
Créé en 2003 et basé à Londres, le groupe dirigé par Marcus Courage emploie plus de 90 consultants. Il a conseillé des gouvernements africains, du Gabon au Kenya.

Tony Blair Associates
L’ex-Premier ministre britannique Tony Blair fait notamment du lobbying pour les émirats du Golfe et le Kazakhstan. Ses détracteurs dénoncent les frontières parfois floues entre ses activités d’envoyé spécial au Moyen-Orient et celles de sa propre entreprise, par exemple en Libye.

BTP Advisers
Trois ans après avoir fondé sa société, Mark Pursey a acquis une solide réputation grâce à ses activités de lobbying pour les gouvernements de Côte d’Ivoire, du Rwanda et d’Azerbaidjan.

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Portland Communications
Cette firme londonienne est spécialisée dans le conseil politique et les relations publiques. Lancée en 2001 par Tim Allan, ex-conseiller de Tony Blair, elle fait du lobbying pour la compagnie Tullow Oil et le brasseur AB InBev.

AKPD Message and Media
Basé à Washington, ce cabinet cofondé par David Axelrod travaille pour Ed Miliband, leader travailliste au Royaume-Uni, et pour le parti d’opposition All Progressives Congress (APC), au Nigeria.

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Au Nigeria, le principal parti de l’opposition, l’All Progressives Congress (APC), a ainsi fait sensation en 2014 en annonçant avoir recruté, pour la présidentielle de février prochain, AKPD Message and Media. Une société cofondée par David Axelrod, pilote des deux campagnes victorieuses de Barack Obama aux États-Unis.

Quant au président sortant, Goodluck Jonathan, il devrait mobiliser plusieurs groupes internationaux, dont la société britannique Bell Pottinger, cofondée par Tim Bell, ancien conseiller de l’ex-Premier ministre Margaret Thatcher.

Effervescence

Sur le continent, le Nigeria est justement le pays qui investit le plus dans cette industrie de la communication et de l’image, juste devant l’Égypte et le Maroc.

Pour défendre les causes qui lui sont chères auprès de gouvernements étrangers et dans la presse internationale, Abuja verse chaque année plusieurs dizaines de millions de dollars aux sociétés de lobbying, aux cabinets d’avocats et aux compagnies de relations publiques. Les rapports du ministère américain de la Justice ont ainsi souligné une effervescence particulière dans le secteur au Nigeria, à l’approche des élections générales.

En juin, Levick, une entreprise de conseil en image installée à Washington, a par exemple remporté un contrat de près de 1,2 million de dollars (880 000 euros) avec News Agency of Nigeria pour mettre en valeur le discours gouvernemental dans la lutte contre le groupe islamiste Boko Haram.

La signature a eu lieu moins d’un an après qu’Abuja eut paraphé un autre contrat, de quatre mois, d’une valeur de 300 000 dollars, avec Mercury, une autre officine américaine, pour raffermir ses relations bilatérales diplomatiques, économiques et sécuritaires avec les États-Unis.

D’autres pays du continent utilisent avantageusement le lobbying international, comme Maurice et le Maroc. Au cours des sept dernières années, le royaume chérifien a discrètement dépensé quelque 20 millions de dollars pour faire pression sur le Congrès et le département d’État américain et tenter d’influencer les médias à travers deux entités liées, The Gabriel Company et le Moroccan-American Center for Policy.

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Avec des résultats certains, note Chester Crocker, ancien secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique : « Depuis des décennies, les Marocains sont un partenaire privilégié du gouvernement américain. Ils s’associent avec des lobbys et se coordonnent très efficacement avec les pays partageant leurs idées. Et ils recrutent parmi les personnalités les plus influentes. » Sur le plan politique, ce travail porte ses fruits.

Lobbying JA2815p085 infoEn 2013, lorsque les États-Unis ont proposé d’ajouter une composante droits de l’homme au mandat de la force de maintien de la paix des Nations unies basée au Sahara occidental, le territoire que se disputent le Maroc et le Front Polisario, Rabat a mobilisé ses soutiens et proposé un autre plan. Les États-Unis ont rapidement renoncé. Et, en novembre 2013, le président Obama a salué l’action de Mohammed VI lors d’une rencontre conviviale à la Maison Blanche.

Séduire

Outre les États, les partis politiques et les entreprises africaines – ou présentes sur le continent – contribuent désormais à l’expansion du lucratif marché du conseil en image, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Afrique. En quête de capitaux, les groupes locaux parcourent le monde pour embaucher des cabinets chargés de lisser leur profil dans le but de séduire des investisseurs. Tullow Oil, qui produit 81 % de son pétrole en Afrique, fait ainsi appel aux services de la société Portland Communications.

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Même des leaders d’opinion font appel au service de ces gourous de la communication pour faire passer leur message. Afin de changer l’image de l’Afrique à travers le monde, le milliardaire philanthrope Mo Ibrahim et l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan ont par exemple recruté Robert Watkinson, du cabinet londonien Portland Communications.

« Le mantra sur « l’essor de l’Afrique » vient de l’Occident, constate ce dernier. Mo Ibrahim se bat contre la vision binaire oscillant entre afropessimisme et afro-optimisme et plaide pour l’afroréalisme » pour comprendre la complexité de la rapide croissance économique dans certaines régions, en dépit de la persistance des problèmes de gouvernance.

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Fabrice Sawegnon, l’homme qui murmurait à l’oreille des puissants

Ancien employé des agences Panafcom Young & Rubicam et McCann Erickson et fondateur de l’agence Voodoo, Fabrice Sawegnon peut être considéré comme l’étoile montante de la publicité politique en Afrique.

Découvrez son portrait…

Conflits d’intérêts

Si la loi américaine oblige les entreprises de lobbying à rendre des rapports semestriels au ministère de la Justice, en Europe, celles-ci sont à peine réglementées.

Au Royaume-Uni, Tony Blair, le plus célèbre des lobbyistes anglais, est souvent accusé de conflits d’intérêts. Son cabinet de conseil, Tony Blair Associates, lui a rapporté plus de 70 millions de dollars depuis qu’il a quitté le pouvoir en 2007.

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Pour empêcher les journalistes de fouiller dans ses affaires, l’ancien Premier ministre a mis en place un complexe réseau de sociétés regroupées au sein d’une fiducie.

Mais il insiste sur le fait qu’il paie tous ses impôts au Royaume-Uni. Et que ce travail finance ses activités caritatives, telles que son Initiative pour la gouvernance en Afrique en Sierra Leone, en Guinée, au Rwanda, au Liberia et au Malawi. Mais des zones d’ombre subsistent. Ses oeuvres philanthropiques en Guinée, par exemple, lui donnent-elles l’influence nécessaire pour favoriser les intérêts commerciaux de ses associés, tels que la banque JPMorgan Chase ou l’oligarque russe Oleg Deripaska ? À Londres, c’est une question d’éthique et non une question juridique, à moins de prouver que les organismes d’intérêt public, qui sont exonérés d’impôt, abusent de leur statut.

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