Tunisie : un enregistrement de Nabil Karoui menaçant l’ONG I Watch de diffamation fait polémique

La diffusion d’un enregistrement attribué à Nabil Karoui, fondateur d’une chaîne de télévision privée, dans lequel il planifie une campagne de dénigrement contre une ONG anti-corruption, fait scandale en Tunisie.

Nabil Karoui, fondateur de la chaîne Nessma TV. © Amine Landoulsi/AP/SIPA

Nabil Karoui, fondateur de la chaîne Nessma TV. © Amine Landoulsi/AP/SIPA

Publié le 19 avril 2017 Lecture : 3 minutes.

La polémique a éclaté le dimanche 16 avril au soir avec la divulgation d’un enregistrement audio. Dans cette séquence, une voix qui semble être celle de Nabil Karoui, ex-président de Nessma TV − l’une des principales chaînes de Tunisie − exige que soit tournée « une bande-annonce qui souille » les membres de l’ONG I Watch, en les faisant passer pour des « traîtres et des agents » de l’étranger et en utilisant des informations « bidons ».

L’homme demande également à ce que que la réputation des petites amies ou fiancées des membres d’I Watch soit salie, et sous-entend que la chaîne peut compter pour cette campagne sur des journalistes « sur lesquels nous avons des dossiers ».

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Mardi 18 avril, le parquet a annoncé à l’AFP avoir ouvert une enquête judiciaire.

Des « pratiques dangereuses »

Même si des ONG mettent en garde depuis longtemps contre la tentative de mainmise d’hommes d’affaires ou de politiciens sur certains médias, ce message audio a scandalisé l’opinion tunisienne en mettant à nu un véritable plan menaçant la vie privée de militants, comme au temps de la dictature de Zine El Abidine Ben Ali.

Sous Ben Ali, « ces pratiques dangereuses […] servaient à embellir l’image du régime », alors « qu’aujourd’hui, c’est pour servir les intérêts de certaines personnalités », a réagi auprès de l’AFP Achref Aouadi, le président de I Watch.

Dans un rapport publié en 2016, cette ONG, qui représente Transparency International en Tunisie, avait accusé Nabil Karoui et son frère de fraude fiscale. Suite à la diffusion de l’enregistrement, elle a annoncé qu’elle allait porter plainte au pénal contre Nabil Karoui et toute personne impliquée.

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« Nous nous excusons auprès des journalistes mais ça n’a plus rien à voir avec la liberté d’expression. Il ne s’agit plus de journalisme mais d’un gang criminel », a souligné Achref Aouadi.

Des « propos à chaud »

Contactée par l’AFP, Nessma TV n’a pas souhaité commenter dans l’immédiat. L’un de ses chroniqueurs, Emine Mtiraoui, a affirmé que l’enregistrement avait été monté mais n’a pas démenti son contenu. Il a précisé que les déclarations attribuées à Nabil Karoui étaient « des propos à chaud, une réaction naturelle » à une « campagne » contre la chaîne, en allusion au rapport d’I Watch.

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« Où est la diffamation ? Je ne comprends pas. Si on parle de gens suspects et qu’on dit qu’ils sont suspects, cela est-il considéré comme de la diffamation ? […] Ce sont des traîtres ! Ce sont des agents ! », s’est-il emporté sur la radio Shems FM à propos des responsables de l’ONG.

Le Syndicat national des journalistes (SNJT) a pour sa part condamné les propos attribués à Nabil Karoui, qui « n’ont rien à voir avec le journalisme et son éthique ».

« La puissance de l’argent s’est imposée »

En 2016, Nabil Karoui a quitté la direction de Nessma en 2016 afin, avait-il expliqué à l’époque, de se consacrer au parti Nidaa Tounès, fondé par l’actuel président Béji Caïd Essebsi, et pour se conformer aux règles en vigueur selon lesquelles un responsable politique ne peut diriger de média. « Mais on voit bien que c’est lui qui gère » toujours Nessma, a déclaré lundi soir le journaliste Walid Mejri, interrogé par la télévision nationale.

Sur fond de querelles de pouvoir, Nabil Karoui a fini par quitter récemment Nidaa Tounès. Il n’empêche : cette polémique illustre la complexité de la situation financière et éditoriale des médias tunisiens. Depuis la révolution, le secteur « a été livré à lui-même, on le voit surtout dans l’audiovisuel, et la puissance de l’argent s’est imposée », affirme à l’AFP l’universitaire et enseignant en journalisme Larbi Chouikha.

« Il y a un danger pour la démocratie, pour le sens de la citoyenneté en Tunisie et pour les institutions de l’État », renchérit Achref Aouadi. « Nous avons peur que les Tunisiens n’aient plus confiance en rien » s’il n’est pas mis fin à l’impunité « de ceux qui se croient intouchables », avance-t-il.

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