Bénin : mémoire vive à Ouidah

De la route de l’Esclave à la Porte du Non-retour, le Bénin abrite l’un des plus importants sites de tourisme mémoriel du continent. Un patrimoine que le pays compte remettre en valeur, pour que l’histoire de la déportation ne tombe pas dans l’oubli, mais aussi pour attirer plus de visiteurs.

A Ouidah, au Bénin, face à la porte du non-retour. © Charles Placide pour JA

A Ouidah, au Bénin, face à la porte du non-retour. © Charles Placide pour JA

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Publié le 5 avril 2017 Lecture : 4 minutes.

A Ouidah, au Bénin, face à la porte du non-retour. © Charles Placide pour JA
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Bénin : des promesses aux projets

Avec son programme « Bénin révélé », Patrice Talon veut, très vite, réformer les institutions, relancer le développement économique et social, redonner confiance au pays… Un changement radical et accéléré qui, un an après son investiture, réveille les tensions.

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La beauté du site laisse perplexe, quand on repense à l’affreux scénario qui s’y déroula pendant des lustres. Sur la longue plage battue par le vent, les vagues s’écrasent contre les dunes, dans un vacarme assourdissant. La lune est encore là. Au loin, des femmes et des hommes tirent d’immenses cordes pour ramener les filets du large. Nous sommes au terminus de la Route de l’Esclave, à 5 km du centre-ville de Ouidah, principale plaque tournante de la traite négrière au XVIIIe siècle.

La région a du potentiel

« La région a du potentiel. Nous remplissons l’hôtel avec une clientèle d’expatriés qui viennent se reposer le week-end de l’agitation de Cotonou, mais aussi avec des Américains, des Brésiliens et des Français, qui veulent fouler la terre de leurs ancêtres », explique le nouveau gérant de La Casa del Papa, l’un des principaux établissements de cette partie de la côte.

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L’ancienne garde des sceaux française, Christiane Taubira, ou encore l’ex-champion des Bleus, Lilian Thuram, sont en effet passés par là. Une plaque commémorative en hommage à la diaspora a été d’ailleurs posée au Mémorial du Souvenir, construit au-dessus de la fosse commune des captifs morts avant la déportation.

« C’est important que l’on se souvienne »

En fin de semaine, tout au long de la journée, les groupes de touristes étrangers succèdent à ceux des écoliers, collégiens et lycéens venus des localités environnantes, de Cotonou ou de Porto Novo. « C’est important que l’on se souvienne de ce qui s’est passé, reconnaît Joël, 12 ans. Des gens ont tellement souffert ici. Ça me rend triste, même s’il est clair qu’il faut pardonner aux blancs. »

Dans la chaleur lourde et humide, les guides agréés racontent en plusieurs langues le calvaire. « Il faut s’imaginer la douleur de ces gens enchaînés par les pieds et par le cou, sur cette route marécageuse pleine de cactus, de scorpions et de serpents. La moitié mourraient en chemin. »

Il faut s’imaginer la douleur de ces gens enchaînés par les pieds et par le cou, sur cette route marécageuse…

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En mémoire de ceux d’entre eux qui atteignaient la plage, la triste Porte du non-retour a été érigée en 1995 par l’Unesco, à l’endroit même où les esclaves embarquaient vers les Amériques. Sous l’arche, le guide poursuit : « Nous avons vécu dans une telle amnésie que, jusqu’au début des années 1980, des entrepreneurs français acheminaient du sel ici-même, sur ce site, comme si de rien n’était. Ils avaient même construit un petit entrepôt qui a été abandonné depuis. »

Devant l’unique bâtiment colonial, face à la mer, des bungalows en béton illustrent aussi ce déni. Ils devaient faire partie d’un complexe balnéaire lui aussi abandonné avant même son inauguration.

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Refaire la ville à l’identique

De la place aux Enchères de Ouidah, où les esclaves en partance étaient sélectionnés et marqués au fer, jusqu’à la case Zomaï, où on les parquait juste avant l’embarquement, en passant par la place de Zoungbodji, sur laquelle les futurs déportés tournaient autour de « l’Arbre du Retour » (planté par le roi du Dahomey) pour que leurs âmes reviennent après la mort, la plupart des lieux commémoratifs de la route de l’Esclave ont vieilli, rongés par le sel et les embruns.

oudiah_benin_place_de_zoungbodji © A Ouidah, sur la place de Zoungbodji. Crédit : Charles Placide pour JA

oudiah_benin_place_de_zoungbodji © A Ouidah, sur la place de Zoungbodji. Crédit : Charles Placide pour JA

« Nous voulons restaurer Ouidah, la refaire à l’identique, recréer les lieux de déportation et retaper les villas de l’époque », explique le ministre de la Culture et du Tourisme, Ange Nkoué. L’objectif est que les visiteurs, quels qu’ils soient, puissent se recueillir, mais aussi revivre l’époque et ressentir la souffrance. C’est pour nous une manière de reconstruire notre mémoire, tout en stimulant un tourisme culturel et scolaire. »

C’est la raison pour laquelle la restauration de Ouidah fait partie des projets retenus dans le Programme d’actions du gouvernement (PAG) présenté mi-décembre 2016. L’objectif est de faire du pays la destination phare du tourisme mémoriel en Afrique de l’Ouest.

Les objets du quotidien négrier

Installé dans l’ancien fort portugais São-Jão-Batista-de-Ajuda, construit au début du XVIIIe et où les Portugais faisaient commerce des esclaves, le musée d’histoire de Ouidah a été inauguré en 1967. Dans des salles désuètes et pas encore climatisées, il abrite les objets du quotidien négrier (les chaînes, les armes à feu, les canons…), ainsi qu’une exposition permanente des photographies de Pierre Verger, célèbre ethnographe français, qui fit le lien entre les traditions vaudou et yoruba de la région, et les cultures latino-américaine.

Les colons ne voulaient pas laisser de traces de leurs crimes.

Dans son vieux bureau, le conservateur, Bertin Calixte Biah, a formé la plupart des guides locaux et soutient son musée à bout de bras. Cet homme discret qui porte le prénom d’un pape romain « lui-même esclave avant d’être ordonné », est le meilleur porte-parole de la cause. « Autrefois, il y avait à Ouidah un fort britannique et un autre français, raconte-t-il. Tous ont été détruits avant le départ des colons. Pourquoi ? Parce qu’ils ne voulaient pas laisser de traces de leurs crimes. Alors c’est plutôt une bonne chose de mettre enfin les moyens pour sauver cette ville chargée d’histoire, d’où furent déportés des millions d’hommes. »

Le projet de valorisation du patrimoine mémoriel porté par le PAG fait cependant sourire la directrice du musée d’art contemporain de Ouidah. « Depuis le temps que les politiques font miroiter des choses ici, on aimerait bien en voir les résultats concrets, maugrée Marie-Cécile Zinsou. Qu’on commence par améliorer la voirie ou par asphalter les rues ! »

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