Emmanuel Mbolela : « Les migrants et les réfugiés ne sont pas juste des victimes, ils luttent »

Dans son livre, « Réfugié », Emmanuel Mbolela livre un témoignage saisissant sur son parcours et la vie des migrants africains, de la RD Congo à l’Europe en passant par le Maroc. Interview.

Emmanuel Mbolela (RD Congo), auteur de « Réfugié, Une odyssée africaine », Libertalia, Paris, 2017, 264 pages, 10 euros. © DR

Emmanuel Mbolela (RD Congo), auteur de « Réfugié, Une odyssée africaine », Libertalia, Paris, 2017, 264 pages, 10 euros. © DR

CRETOIS Jules

Publié le 2 février 2017 Lecture : 3 minutes.

Emmanuel Mbolela, militant de la cause des réfugiés, a traversé plusieurs pays et le Sahara. Militant dans l’opposition congolaise, il a fui son pays en 2002, avant d’obtenir l’asile politique aux Pays-Bas, en 2008. Dans son livre, Réfugié, paru le 2 février, il décrit son parcours personnel avec sobriété et concision. L’éditeur, Libertalia, une maison parisienne d’obédience anarchiste, résume bien à Jeune Afrique l’intérêt particulier de ce récit : « On a trouvé intéressant le retour d’expérience sur l’auto-organisation des migrants et passionnante la place attribuée à la question des femmes. »

Au téléphone, la voix chevrotante, peinée par l’annonce tombée la veille du décès du leader de l’opposition congolaise Étienne Tshikedi, l’infatigable Mbolela a pris le temps de nous répondre.

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Jeune Afrique : Que représentait pour vous Étienne Tshikedi, co-fondateur de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) ?

Emmanuel Mbolela : C’était cette voix qui nous disait « Libérez-vous de la peur ». Je ne l’ai pas beaucoup connu. Je lui transmettais de manière occasionnelle des rapports d’activité de la jeunesse, car j’avais rejoint l’UDPS en 1992 et j’étais actif à Mbuji Mayi. Suite à une manifestation assez massive, j’ai été arrêté en 2002 et ai passé deux mois en prison. J’ai pu fuir et j’ai gagné le Congo-Brazzaville.

C’est là que commence votre odyssée…

Oui. Je ne pouvais pas rester au Congo. La chasse aux réfugiés était féroce. Alors j’ai vite repris la route. Cameroun, Nigeria, Bénin, Burkina Faso, Mali, Algérie, Maroc… Comme les autres, j’intégrais un groupe de migrants, puis en rencontrait un autre, de pays en pays, de frontière en frontière.

Fort de mon expérience politique au pays, j’ai cofondé l’Arcom, l’Association des réfugiés congolais au Maroc

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Pourquoi une telle insistance dans votre récit sur la souffrance particulière des femmes ?

Ce qu’elles vivent est difficile à imaginer. Elles souffrent deux fois plus. Ce n’est pas compliqué : sur la route, certaines femmes deviennent comme une monnaie d’échange. Beaucoup subissent plusieurs violences sexuelles sur leur trajet. Les chauffeurs, les passeurs, des policiers ou des militaires abusent d’elles. Même entre migrants, il y a des agressions, des humiliations. Imaginez : vous êtes une femme seule et vous devez dormir cachée dans un tout petit espace clos, serrée au milieu de plusieurs hommes. C’est ça le quotidien de ces femmes. C’est pour ça qu’après mon arrivée en Europe, j’ai commencé à imaginer le projet Baobab [un petit réseau d’accueil en conception au Maroc pour les femmes migrantes, NDLR].

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Mais vous refusez de dépeindre les migrants et les réfugiés comme des victimes inactives. Pourquoi ?

En effet, il faut dénoncer mais pas s’apitoyer. Les migrants et les réfugiés ne sont pas juste des victimes, ils s’organisent. Il y a deux choses. D’une part, la solidarité. Je l’ai découverte à Tamanrasset. Cette solidarité, elle est pragmatique, directe. Tu arrives, les gens te repèrent et s’assurent que tu aies accès au minimum. Chacun indique, assiste, conseille l’autre. Un petit monde, que personne ne connaît et qui assure la survie de centaines de personnes. Et puis il y a la lutte. Je l’ai expérimentée au Maroc.

Arrivé là-bas, fort de mon expérience politique au pays, j’ai cofondé l’Arcom, l’Association des réfugiés congolais au Maroc. On a organisé les premières manifestations de réfugiés. On se réunissait devant le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés et nous parlions de dignité, de droits. On a commencé à avoir des exigences au-delà du bricolage et de la charité pour la survie. On a posé des questions politiques.

Vous avez rencontré de la solidarité ?

Oui. Le tissu associatif maghrébin se développe et intègre la question migratoire. Une association comme l’Association marocaine des droits humains se dépense sans compter pour la cause des étrangers, alors que ça ne lui rapporte rien en matière de popularité. Je pense que certaines associations maghrébines sont sensibles à la question du racisme étant donné que certains de leurs concitoyens le subissent en Europe. Les pays occidentaux n’ont pas de leçons à donner en la matière aux pays en développement d’ailleurs.

Par ailleurs, il faut le souligner, les églises maintiennent une activité caritative importante. Elles n’ont que très peu de marge de manœuvre au Maghreb et se doivent de rester à leur place, mais malgré tout, elles jouent leur rôle. Cet aspect est important : la question migratoire ne connaît pas de frontières, la répression non plus. Alors la solidarité ne doit pas en connaître.

Réfugié, Une odyssée africaine, Emmanuel Mbolela, Libertalia, Paris, 2017, 264 pages, 10 euros.

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