En Tunisie, 14 janvier rime avec bilan décevant

Depuis 2011, chaque 14 janvier est l’occasion de faire un bilan, comme pour se convaincre des progrès réalisés. Mais la colonne débit est beaucoup plus fournie que celle des crédits.

Une affiche des martyrs de la révolution de 2011 exposée en Tunisie. © Amine Landoulsi/AP/SIPA

Une affiche des martyrs de la révolution de 2011 exposée en Tunisie. © Amine Landoulsi/AP/SIPA

  • Frida Dahmani

    Frida Dahmani est correspondante en Tunisie de Jeune Afrique.

Publié le 14 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

Certes, la communauté internationale ne tarit pas d’éloges sur les avancées démocratiques de la Tunisie qui lui ont valu le prix Nobel de la paix en 2015. Mais à y regarder de plus près, c’est l’immobilisme qui touche le pays au point de le faire reculer. Meilleure illustration : l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui doit mettre en œuvre la Constitution adoptée en 2014.

Ce texte fondateur porte une large ouverture démocratique – une exception dans le monde arabe -, mais demeure tributaire du vouloir et de l’interprétation des hommes. Et il semble que les élus ne veuillent pas véritablement s’en saisir. Ou alors vraiment très doucement, comme s’il fallait ménager les uns et les autres, préserver l’équilibre entre Ennahdha et Nidaa Tounes, premiers partis de l’hémicycle qui ont instauré la règle tacite du consensus pour mieux enterrer les dossiers.

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En ce jour anniversaire, donc, que reste-t- il de l’esprit de la Constitution et de son application ? Une belle intention bafouée estiment les uns, un objectif qui ne pourra être atteint que sur la durée rétorquent d’autres.

Dans les faits, le recul est net. Le pouvoir législatif tel qu’énoncé au chapitre 3 est paralysé au point que la loi d’urgence économique n’a pas été votée malgré son évidente nécessité. Il en est de même pour le judiciaire présenté au chapitre 5, le Conseil supérieur de la magistrature et la Cour constitutionnelle n’ayant pas été créés jusqu’à ce jour. Le pouvoir exécutif tel que prévu au chapitre 4 a perdu ses équilibres et glisse vers une forme de régime présidentiel. Tout comme les mesures transitoires du chapitre 9, la décentralisation – la plus importante réforme de gouvernance inscrite au chapitre 7 de la Constitution – semble reléguée aux oubliettes.

Sur les cinq instances constitutionnelles indépendantes prévues, seule l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) est opérationnelle, bien que le tiers de ses membres n’a pas été renouvelé dans les délais impartis par le chapitre 6 de la Constitution.

Pour finir d’esquisser ce triste tableau, les élections municipales et locales sont reportées sine die depuis plus d’un an.

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Les plus optimistes vont dire : « Mais les droits et libertés obtenus sont des acquis inaliénables ! » Pas vraiment… La refonte de la législation n’a pas été faite, si bien que les anciens textes appliqués ne sont pas conformes à la Constitution et à ses principes. Pire : leur utilisation constitue une violation de la Loi fondamentale en toute légalité, au point qu’on ne sait plus très bien qui a la préséance.

Trois ans après sa promulgation, la Constitution est comme une belle endormie dont certains voudraient déjà se défaire. Au fur et à mesure des débats, certains émettent déjà l’idée de l’aménager selon le bon vouloir du politique. Des tentatives qui profitent d’un climat délétère où les priorités sont brouillées, d’une certaine torpeur voire d’une indifférence générale.

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Le ver serait-il dans le fruit ? La contre-révolution aurait-elle changé de camp en devenant le fait d’élus qui semblent, une fois au pouvoir, ne plus vouloir tenir leurs engagements ?

Six ans plus tard, le 14 janvier semble répondre aux vœux du Guépard de Tomasi de Lampedusa, quand « tout change sans rien changer »…

Il est vraiment à souhaiter, pour cet anniversaire de la révolution, que les dirigeants quittent leur conservatisme et leur frilosité aux relents de fin de siècle pour entrer enfin dans le présent et cette nouvelle année 2017.

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