Le coup d’éclat militaire en Côte d’Ivoire est-il un coup de semonce ?

Lorsque les militaires de rang n’obéissent plus à leur hiérarchie et qu’ils font irruption dans la rue avec leurs armes, il y a, certes, une exaspération pour un problème qui tarde à être réglé, mais aussi un danger pour l’ordre constitutionnel et l’État de droit.

Militaires ivoiriens dans les rues de Bouaké, le 6 janvier 2017. © Haby Niakaté pour JA

Militaires ivoiriens dans les rues de Bouaké, le 6 janvier 2017. © Haby Niakaté pour JA

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  • Didier Niewiadowski

    Didier Niewiadowski est un Juriste français. Il a été en service durant 38 ans au ministère de la Coopération et à celui des Affaires étrangères.

Publié le 11 janvier 2017 Lecture : 3 minutes.

Il n’est jamais bon que des membres de la « Grande muette » crient publiquement leur mécontentement.

En Côte-d’Ivoire, ce nouvel épisode des 6 et 7 janvier 2017, qui vient après celui de 2014, n’a pas un caractère politique affiché, d’autant qu’il est parti de Bouaké, ancien fief d’Alassane Ouattara, et que la plupart des militaires concernés appartenaient aux Forces nouvelles, qui le soutenaient dans son conflit avec Laurent Gbagbo.

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Comme c’est souvent le cas, la cause directe de ce coup d’éclat est, à la fois, le non-paiement des primes promises et la détérioration des conditions de vie et de travail des hommes de rang. Cette question du paiement des primes est récurrente en Afrique subsaharienne. Il n’est pas rare que le retour des militaires, ayant opéré au sein des missions onusiennes et africaines de maintien de la paix, se prolonge par des mouvements d’humeur, plus ou moins violents. Ne voulant pas déplaire au pouvoir politique, les officiers supérieurs rechignent souvent à transmettre les éventuels mécontentements des hommes de rang, en service à l’étranger. Inéluctablement, le problème se pose, avec plus de force et de risques de dérapages, à leur retour au pays.

La fragilisation du pouvoir politique

La répétition des mouvements d’humeur des militaires n’est pas sans conséquences sur le climat des affaires. Elle mine l’autorité du chef de l’État et du gouvernement et peut donner des idées à des candidats putschistes. Plusieurs anciens chefs de l’État, évincés du pouvoir, peuvent en témoigner. Le président Alassane Ouattara a bien compris le danger de la situation en réagissant avec célérité et fermeté. Il a rapidement donné son accord « à la prise en compte » des revendications des manifestants. La notion de « prise en compte » fera certainement l’objet de la plus grande attention des militaires en colère. Profitant de la fin de vie du gouvernement du premier ministre Daniel Kablan Duncan, Alassane Ouattara en profita pour changer, fort opportunément, de Premier ministre et de plusieurs ministres, ce qui ne pourra que contribuer à l’apaisement. Enfin, le chef de l’Etat a tiré les leçons du retard pris dans la constitution d’une véritable armée nationale et des risques sécuritaires omniprésents depuis les événements de Grand Bassam, en limogeant le Chef d’état-major des Armées, pourtant leader historique des Forces nouvelles, le Commandant supérieur de la Gendarmerie et le Directeur général de la police nationale.

Une société de plus en plus fragmentée

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La situation macroéconomique de la Côte d’Ivoire est enviable, avec une croissance qui se situe à un peu plus de 8%, une consommation des ménages et des investissements en progression et des recettes fiscales qui témoignent de la vitalité de l’économie domestique. Le secteur bancaire connaît une croissance soutenue. Les grands groupes internationaux et leurs filiales ivoiriennes, participant à la mondialisation et à la financiarisation de l’économie, y font de confortables profits, les autorisant à récompenser largement leurs dirigeants. Abidjan redevient la place financière et le hub économique qu’elle était, avant la crise de 2010. En revanche, une grande partie de la population ne voit pas une amélioration de ses conditions de vie, même si le Smig est l’un des plus hauts d’Afrique subsaharienne, avec près de 100 euros mensuels. Nombre de citoyens ivoiriens se sentent abandonnés par les pouvoirs publics.

La montée des mécontentements

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L’avis d’alerte, lancé par les militaires en colère, est conforté par la coagulation de plusieurs foyers de revendications. Le référendum constitutionnel a certes été adopté largement, mais avec un taux de participation à peine supérieur à 44%. Il en a été de même avec les élections législatives qui ont enregistré un taux de participation inquiétant de 35 %. Cette faible mobilisation citoyenne n’a pas empêché une forte progression des indépendants. Les fonctionnaires sont en grève du 9 au 13 janvier 2017 pour dénoncer les sacrifices qui leur sont demandés, les producteurs et exportateurs des fèves de cacao se heurtent à l’intransigeance du Conseil café-cacao de leur filière et les étudiants sont de plus en plus mobilisés pour faire aboutir leurs revendications.

Le président Alassane Ouattara sait bien que les bons résultats économiques sont nécessaires pour le développement économique et social d’un pays, mais ils ne sont pas suffisants pour éviter une crise politique majeure. L’ancien Directeur général adjoint du FMI sait aussi que les gouvernants ont intérêt à écouter les cris de la rue, surtout lorsqu’ils viennent de militaires. Le nouveau Premier ministre aura intérêt à ne pas se focaliser sur les seuls indicateurs macroéconomiques et financiers.

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