Hery Rajaonarimampianina : « À Madagascar, certains imaginent encore parvenir au pouvoir sans être élus »

Au lendemain du XVIe sommet de la Francophonie, qui se tenait à Madagascar, le président Hery Rajaonarimampianina a reçu Jeune Afrique dans son palais d’Iavoloha, vaste bâtisse bâtie du temps de la république socialiste avec l’aide de la Corée du Nord.

Le président de Madagascar Hery Rajaonarimampianina et Michaelle Jean, secrétaire générale de l’OIF, le 27 novembre 2016 à Antananarivo. © Adrian Wyld/AP/SIPA

Le président de Madagascar Hery Rajaonarimampianina et Michaelle Jean, secrétaire générale de l’OIF, le 27 novembre 2016 à Antananarivo. © Adrian Wyld/AP/SIPA

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 29 novembre 2016 Lecture : 9 minutes.

Au sujet du dernier sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), plus important raout diplomatique jamais organisé sur la Grande Île, rien ne peut entamer son enthousiasme. Ni les annulations de dernière minute de ses pairs africains, ni la curieuse absence du roi du Maroc, Mohammed VI (qui était pourtant présent dans le pays), ni le départ précipité du président français François Hollande, le jour de clôture.

En dépit des critiques sur le coût de l’événement – émises à Madagascar principalement – et des inquiétudes sur son état de préparation – exprimées à l’extérieur surtout – le sommet a bien eu lieu. Et c’est ce qui compte pour ce président que personne n’attendait vraiment avant les élections de 2013. Aujourd’hui, ses relations avec ses alliés d’hier, au premier rang desquels son prédécesseur Andry Rajoelina, se sont fortement dégradées, ce qui donne au chef d’État une base politique très instable. Ce président-survivant, qui compte beaucoup sur les investissements étrangers, tient bon pour l’instant. Rencontre.

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Jeune Afrique : Comment s’est déroulé ce sommet de votre point de vue ?

Hery Rajaonarimampianina : Il faudrait le demander aux participants ! Mais cela s’est très bien passé, en termes de qualité du contenu comme de participation. Il y a eu plus de 6 000 participants, 3 000 délégués, plus de 500 journalistes… Et je crois qu’il y a eu un engouement du peuple malgache, la jeunesse était présente au village de la Francophonie.

En termes d’affluence, justement, il y a eu un bémol : seuls 17 chefs d’État et de gouvernement étaient présents… Est-ce que cela vous a déçu ?

Non, pas du tout ! Cet effectif n’avait rien de décevant. Je ne connais aucun sommet où il y ait eu une présence à 100%. Surtout, les 80 pays invités étaient représentés. Et puis, il y a eu de très nombreux acteurs économiques. Sa majesté le roi du Maroc était également présente : avant même le début du sommet, nous avons signé une vingtaine d’accords avec lui. Le Vietnam avait une délégation d’une centaine d’opérateurs, conduite par son Président…

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Vous avez cité le cas du Maroc. L’absence du roi au sommet lui-même a suscité de nombreuses interrogations. Avez-vous eu une explication ?

Non, mais quand le roi du Maroc a-t-il déjà assisté à un sommet de la Francophonie ? Jamais ! Pourquoi aurait-il fait exception ? En tout cas, le Maroc a été fortement représenté. Les Marocains étaient là bien des jours avant le sommet pour signer des accords. Cela montre que la Francophonie, c’est de l’action et du concret.

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Vous étiez présent au sommet de Dakar, où le secrétariat général de l’OIF a été décerné au Canada. Avez-vous senti du désintérêt ou de la déception de la part de vos pairs africains pour la Francophonie depuis ?

Non, au contraire. Il y a un intérêt évident pour cette grande plateforme. Elle est la deuxième organisation, derrière les Nations unies avec autant de membres : 84. Et si il y a trente ans elle s’intéressait surtout à la culture et à la langue, aujourd’hui, elle traite des questions économiques, sécuritaires, la jeunesse, les migrations etc. Elle est au cœur des grands problèmes.

Le président français était lui présent, mais il n’a pas assisté à la deuxième journée. Qu’avez-vous pensé de son départ précipité ?

Pourquoi faudrait-il interpréter les choses de telle manière ? Quand j’assiste à des sommets de deux ou trois jours, il m’arrive aussi d’assister à des rencontres bilatérales à l’extérieur, des rencontres protocolaires etc. Je sais qu’il a rencontré la communauté française. Ce sont des sujets importants.

Justement, il a reconnu les milliers de morts causés par la répression française des nationalistes malgaches, en 1947. Mais il n’a pas présenté d’excuses. Est-ce suffisant ?

Je suis tourné vers l’avenir. Le plus important pour moi et les Malgaches c’est la lutte contre la pauvreté.

Sur la colonisation, il faudrait demander le fond de sa pensée à François Fillon parce que cela m’intéresserait…

Avez-vous été touché par son geste ?

C’était un geste symbolique plein de sagesse.

En France, la droite vient de désigner son candidat pour la prochaine élection : François Fillon. Pendant la campagne, il a assimilé la colonisation à un « partage de culture ». Compte tenu de ce passé douloureux, est-ce que de tels propos choquent les Malgaches ?

Peut-être qu’eux ont bénéficié de ces échanges ! Comme je le dis, il faut maintenant regarder vers l’avant. Lorsqu’on conduit un véhicule, on ne fixe pas le rétroviseur. Mais faudrait lui demander le fond de sa pensée parce que cela m’intéresserait…

Visiblement, contrairement à François Hollande, François Fillon s’oppose à la reconnaissance de certaines exactions.

Oui, j’ai bien étudié son parcours. Attendons qu’il soit là où il souhaiterait être. En tout cas, le président Hollande a fait ce qu’il jugeait bon et personne ne l’avait jamais fait avant lui.

En conférence de presse, il a soulevé la question de la sécurité des Français à Madagascar. Il y a eu seize morts violentes ces deux dernières années. Qu’avez-vous pu lui répondre ?

Je ne répondrais pas au président français, mais à tout le monde, en disant : comparons ces seize morts à ce qui se passe dans d’autres pays. Est-ce que Madagascar et plus ou moins sûr qu’ailleurs ? Il faut aussi regarder les mobiles de tout cela. À Sainte-Marie, par exemple, il s’agissait d’un crime passionnel. Est-ce que cela peut être assimilé à une attaque terroriste ? C’est sans comparaison. Le plus important, c’est que nous prenons des mesures, vis-à-vis des résidents français, des intérêts français et des régions touristiques.

Les infrastructures, nous ne les avons pas faites pour le sommet […] la Francophonie a simplement été un accélérateur.

Avez-vous évoqué la souveraineté des Îles éparses avec lui ?

On en a parlé. C’est vraiment en cours. Nous avions eu une première réunion à Paris au mois de juin. Nous avons convenu de la poursuivre. Le sujet remonte à 1979, date des résolutions des Nations unies. Combien de présidents y a-t-il eu en France et à Madagascar entre-temps ? Jamais ce problème là n’avait été évoqué. Au moins, nous avons eu le courage de le mettre sur la table.

L’opposition malgache a critiqué les moyens dévolus à l’organisation de ce sommet. Quel a été son coût global ?

Nous sommes encore en train de l’évaluer. Mais laissez-moi vous dire que ceux qui critiquent sont en partie des gens qui ont voulu le faire, mais n’ont pas pu [Madagascar avait été désigné hôte du sommet de 2010 mais l’organisation lui a été retirée suite au coup d’État de 2009, NDLR]. D’ailleurs, l’hôtel cinq étoiles était déjà là, le centre de conférence aussi.

Nous avons seulement ajouté l’aile du bâtiment pour la réunion des chefs d’État et le village de la Francophonie, mais ils vont servir à bien d’autres choses à l’avenir. Les autres infrastructures, nous ne les avons pas faites pour le sommet. C’est ma vision du développement d’Antananarivo.

J’ai toujours dit que je voulais rénover l’aéroport qui ne l’avait pas été depuis 1960, que je voulais construire des routes pour réduire ces embouteillages dont se plaignent les habitants. La Francophonie a simplement été un accélérateur.

Dans le même temps, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) parle de risques alimentaires pour 1,4 million de Malgaches dans le sud du pays.

Oui, mais le problème du Sud existe depuis des décennies. Cette région a un climat particulier, beaucoup plus aride que le reste du pays, qui d’ailleurs est déjà victime du changement climatique. Mais le problème est d’abord politique : cette région a été laissée pour compte. Il n’y a pas d’infrastructures, d’électricité, le minimum en terme d’adduction d’eau.

Je suis le premier président à mettre en place une stratégie pour désenclaver le Sud. Nous allons construire une centaine de kilomètres de route manquante, avec l’Union européenne (UE). Il y a des centres de santé de base, de nouvelles écoles, dont les enfants reçoivent un support alimentaire à midi. Nous avons creusé beaucoup de puits et réhabilité des adductions d’eau.

Mais allez-vous pouvoir gérer l’urgence ?

Dans l’urgence nous travaillons avec les organisations internationales et l’État y met du sien. Il nous faut travailler sur le problème à moyen et long terme. Désenclaver le Sud est la première des solutions.

Attendez-vous des retombées économique à long terme du sommet de l’OIF ?

D’abord, c’est une reconnaissance de l’existence même de Madagascar, puis de sa place dans le concert des nations. Entre 2009 et 2013, nous avons été sanctionnés par tout le monde et de toute part, y compris par l’OIF. Ensuite, le sommet a permis de développer les relations bilatérales, je vous ai parlé des accords avec le Maroc. Mais il y en a aussi eu avec la France, la Suisse, le Canada, l’Agence française de développement, la Banque africaine de développement, le Vietnam. Tout cela, c’est du concret.

Madagascar a été endeuillé par un attentat qui a fait trois morts lors des célébrations de l’indépendance en juin. Les commanditaires ont-ils été identifiés ?

L’enquête suit sont cours. On a déjà de sérieux indices. Il y a probablement un lien avec l’attentat qui a eu lieu le jour de mon investiture. Tout cela est relié à un certain contexte politique à Madagascar.

C’est lié à l’opposition ?

Oui, je n’ai pas peur de le dire. En tout cas, ce sont des mobiles internes et non externes, comme certains le prétendent.

En trois ans au pouvoir, vous avez eu trois Premier ministres différents. Comment expliquer cette instabilité gouvernementale persistante ?

La stabilité ne se décrète pas, elle se construit. Ce pays a pris l’habitude de vivre dans l’instabilité pendant 50 ans. Le remettre sur les rails, ce n’est pas évident. La démocratie s’apprend. Il faut de la pédagogie. Mais nous avons pu compléter la plupart des institutions de la République. J’ai mis en place la structure de la réconciliation. Cela va concourir à une meilleure stabilité.

Que les opposants se déclarent comme tels, et qu’ils jouent leur rôle.

Les députés du Mapar, l’Alliance de l’ancien président Andry Rajoelina, ne vous soutiennent pas…

Qu’importe. Dans tout pays, il y a des opposants. Mais il faut qu’ils se déclarent comme tels ! Et qu’ils jouent leur rôle démocratique.

Est-ce qu’une réconciliation avec leur chef ne permettrait pas de sortir de cette situation ?

J’ai toujours pratiqué la politique de la main tendue et pas seulement avec lui. Mais par contre j’ai été très clair : je ne veux pas d’union nationale à la manière de la transition, qui était un véritable panier de crabes. Ce n’est pas ce qu’on veut pour développer ce pays. Nous avons un président élu. Il n’a pas d’obligation à faire entrer toutes les forces dans le gouvernement. Tous ces gens étaient des concurrents et ils ont perdu…

Pourtant, avant l’élection de 2013, vous étiez dans le même camp que le Mapar…

Ce n’est pas moi qui était dans leur camp, c’est eux qui m’ont appuyé.

Qu’est-ce qui a provoqué votre brouille ?

Il faudrait leur demander. Mais je pense que c’est une différence de vision, d’appréhension de ce qu’est la démocratie.

Pour clarifier les choses, faut-il passer par des élections anticipées avant 2018 ?

Un mois après mon élection, on demandait déjà un nouveau scrutin. Pourquoi ? Les règles constitutionnelles sont claires. Le mandat d’un président est de cinq ans. Mais certains pensent pouvoir accéder au pouvoir sans passer par des élections. Peut-être que ceux dont vous parlez le croient encore…

En 2018, les anciens présidents qui avaient été exclus par l’accord politique pourront-ils se présenter ?

Les élections sont libres. Lors des précédentes, il y a eu 33 candidats. C’était inédit. Je ne peux pas prédire ce qu’il en sera à l’avenir. Mais il y a une grande liberté à Madagascar.

Vous-même, allez-vous vous représenter ?

Pour le moment je travaille. Je veux répondre aux besoins de cette population qui a connu 50 ans de crise.

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