Exclusif – RDC : nouvelles révélations sur les liens entre la société chinoise Kun Hou Mining et des milices armées de l’Est

Jeune Afrique a pu se procurer de nouveaux documents qui démontrent des liens entre la société chinoise Kun Hou mining et des miliciens armés d’une faction de Raïa Mutomboki dans le Sud-Kivu, dans l’est de la RDC.

La rivière Ulindi à Shabunda, dans l’est de la RDC. © Flickr/Monusco/CC

La rivière Ulindi à Shabunda, dans l’est de la RDC. © Flickr/Monusco/CC

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Publié le 25 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

En deux ans, la société Kun Hou Mining s’est bâtie une réputation sulfureuse dans l’est de la RDC. Implantée depuis septembre 2014 dans la province du Sud-Kivu, cette entreprise chinoise de dragage n’a jamais lésiné sur les moyens – même illégaux – pour s’assurer l’accès à l’or.

Après le rapport accablant de Global Witness, publié début juillet, dans lequel il a été démontré que Kun Hou Mining avait fourni des fusils d’assaut AK-47, des talkies walkies Motorala et des sommes d’argent à des miliciens locaux, Jeune Afrique vient de se procurer d’autres éléments à charge qui laissent transparaître des liens de collaboration entre la société minière chinoise et des groupes armés de cette partie de la RDC.

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Franck Menard et des miliciens armés

Il s’agit notamment d’une photo sur laquelle on peut voir Franck Menard, citoyen français et représentant de Kun Hou Mining dans le Sud-Kivu, s’afficher avec des miliciens armés locaux et un travailleur chinois.

Le Français Franck Menard au milieu d'un groupe de miliciens dans le Sud-Kivu, dans l'est de la RDC. © DR

Le Français Franck Menard au milieu d'un groupe de miliciens dans le Sud-Kivu, dans l'est de la RDC. © DR

Interpellation des suspects

Jeune Afrique a pu authentifier la photo. Celle-ci a été prise le 13 mai 2016 à 16 heures 22, en mode automatique – ouverture de la focale (f/2.8), vitesse de prise de vue (1/84) – par un appareil standard. Soit près de cinq mois avant l’interpellation de Franck Menard et de trois Congolais – Michel Liete Ttira wa Tuta, chef de division des mines du Sud-Kivu, John Tshonga, directeur de l’agence SAESSCAM spécialisée dans la gestion de l’exploitation minière artisanale dans le Sud-Kivu, et Adalbert Murhi Mubalama, ancien ministre provincial des mines  -, tous mis en cause directement ou indirectement dans le commerce de l’or dans la région.

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D’après des sources locales, les quatre suspects ont en effet été interpellés jeudi 27 octobre à la suite d’une mission d’investigation de la Commission nationale de lutte contre la fraude minière, dépêchée en septembre à Bukavu, capitale du Sud-Kivu, et dans le territoire de Shabunda. Dès le lendemain, ils ont été envoyés à Kinshasa pour être entendus par l’Agence nationale de renseignement (ANR). Les trois Congolais ont ensuite été relaxés début novembre.

« Assainir le secteur de l’or dans le Sud-Kivu »

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« Le ministère des Mines a plusieurs fois écrit aux autorités locales pour assainir le secteur de l’or dans le Sud-Kivu : en octobre et en décembre 2015, puis en avril et en août 2016, commente Valéry Mukasa, directeur de cabinet du ministre. J’ai même conduit une mission de service sur place fin juillet qui s’est penchée notamment sur l’assainissement du secteur minier artisanal au Sud-Kivu. »

« Depuis, les activités de Kun Hou Mining sont suspendues », assure-t-il. Mais pour un expert local des questions sécuritaires et minières qui suit de près le dossier, joint au téléphone par Jeune Afrique, « ce n’est que lors du passage de la mission d’investigation au Sud-Kivu que les activités de Kun Hou Mining ont effectivement été suspendues sur la rivière Ulindi ». « Nous dénoncions pourtant depuis août 2015 leur illégalité et de nombreux abus commis par cette société chinoise », déplore le chercheur congolais.

La rivière Ulindi à Shabunda, dans l’est de la RD Congo, dont une partie serait contaminée par la radioactivité, selon les autorités congolaises.

Pis, le 1er octobre et le 22 décembre 2015, Martin Kabwelulu, ministre des Mines, a donné des « instructions » aux termes desquelles la société Kun Hou Mining « ne peut ni conclure des accords de partenariat avec les coopératives minières, ni exercer une quelconque activité d’achat ou de vente des produits miniers d’exploitation agricoles » et ce, tant que « sa situation n’aura pas trouvé un dénouement au niveau du ministère des Mines (…) et tant que les dénonciations contre elle, contenues dans le rapport de Global Witness, persisteront ».

Lettre du gouverneur à Kun Hou Mining

Malgré ces instructions, Marcellin Cishambo, gouverneur du Sud-Kivu, a « [sollicité] une avance de l’ordre de 90 000 dollars sur les redevances minières » à Kun Hou Mining « pour permettre [à la province] de faire face aux contraintes financières (…) », peut-on lire dans la lettre qu’il a adressée le 7 décembre au directeur général de la société chinoise et dont Jeune Afrique a pu se procurer la copie.

Contacté par Jeune Afrique, le gouverneur Marcellin Cishambo a soutenu qu’il s’agissait là d’une « vieille histoire », sans s’y attarder. À la division des mines du Sud-Kivu, un agent nous a expliqué que « c’est une pratique courante : rien n’interdit à la province de demander des avances sur les redevances minières ». D’autant que « la société Kun Hou Mining avait reçu depuis juin 2015 l’avis favorable de fonctionnement par la Division des mines à Kinshasa, service technique du ministère », argue-t-il.

Pour Global Witness, « la base légale pour ce type de paiement n’est pas du tout claire ». « Cette lettre du gouverneur [Marcellin Cishambo] soulève de nouvelles questions concernant ses relations avec la société Kun Hou Mining », relève Sophia Pickles, sa chargée de campagne. « Malgré la pression du gouvernement national, le gouverneur du Sud-Kivu continue à défendre Kun Hou Mining et à réclamer des comptes à la société pour ses activités illégales au lieu de faire appliquer la loi congolaise », regrette-t-elle.

« Collaboration » entre Kun Hou Mining et des proches de Kabila ?

Des ONG de la société civile locale elles soupçonnent pour leur part des liens entre des proches du chef de l’État et la Coopérative minière pour la reconstruction de Fizi (Comiref) qui a signé un « accord de collaboration », le 16 octobre 2015, avec la société chinoise. Ce qui a permis à Kun Hou Mining de poursuivre ses activités sur le territoire de Fizi, dans la partie méridionale de la province du Sud-Kivu.

« La société Kun Hou Mining a suspendu son exploitation à Fizi à la suite d’une attaque d’un groupe armé contre ses agents. Elle continuait donc à travailler malgré les décisions de Kinshasa », dénonce un de leurs membres.

« À Shabunda, des dragages et des engins de Kun Hou Mining ont finalement été saisis par les autorités, mais nous ne savons pas ce que sont devenus les Chinois [de la société minière] qui s’étaient redéployés à Fizi », a indiqué un journaliste local à Jeune Afrique joint au téléphone. Pour l’instant, le représentant de Kun Hou Mining dans le Sud-Kivu, Franck Menard, est toujours détenu dans la capitale congolaise.

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