Ce jour-là : le 15 novembre 1884, la conférence de Berlin lance la colonisation à grande échelle de l’Afrique

Journée déterminante pour le continent que celle-ci, puisqu’elle marque l’ouverture de la conférence de Berlin, où les plus grandes puissances européennes se sont accordées sur une politique de colonisation massive de l’Afrique.

Vestiges de maisons coloniales à Grand-Bassam, Côte d’Ivoire. Mars 2016
. © Jacques Torregano pour JA

Vestiges de maisons coloniales à Grand-Bassam, Côte d’Ivoire. Mars 2016
. © Jacques Torregano pour JA

Publié le 15 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

La scène se déroule à des milliers de kilomètres du continent africain, dans la froideur berlinoise du mois de novembre. Ce 15 novembre 1884, le chancelier allemand Otto von Bismarck prononce le discours d’ouverture d’une conférence dont personne ne soupçonne encore l’importance.

Elle réunit les représentants des grandes puissances de l’époque : la jeune Allemagne, l’Angleterre toute puissante, sa rivale la France, l’Empire Ottoman, les États-Unis… Le but de la conférence, qui se tient en toute discrétion ? Organiser l’équilibre des puissances occidentales, pour éviter qu’elles s’affrontent. Et pour ce faire, les dirigeants et diplomates doivent s’accorder sur leurs ambitions africaines.

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Joël Calmettes, auteur du documentaire Berlin 1885 : ruée sur l’Afrique, s’est plongé dans les arcanes de cette conférence décisive pour le sort du continent africain. Il explique les raisons qui ont poussé les rivaux européens à se concerter plus qu’à s’affronter :

« À l’époque, le souvenir de la guerre de 1870 est encore vif. Les trois grandes puissances que sont l’Allemagne, la France et l’Angleterre, craignent chacune de voir les deux autres s’allier contre elles. Elles cherchent toutes à limiter les risques de conflit.»

L’Afrique, un eldorado vierge

Dans cette optique, chacun tente d’accroître sa puissance. Et à l’époque, le meilleur moyen d’y parvenir reste d’étendre son territoire. C’est pourquoi le Vieux Continent a les yeux braqués sur l’Afrique, supposée vierge et vide. Joël Calmettes décrypte ce regard que les dirigeants européens portaient alors sur le continent. « L’envie de s’étendre est bien là. Les Européens connaissent très mal l’Afrique, les cartes suivent seulement le cours des fleuves. C’est un territoire immense et inconnu qui commence à attirer ces États qui sont encore des start-up de la colonisation. Les puissances coloniales ont une administration peu structurée et très peu de fonctionnaires. »

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Parmi les quelques territoires connus des Européens, l’embouchure du fleuve Congo dans le Cabinda, dont Portugais et Anglais se disputent la propriété. Ce litige est utilisé comme prétexte pour la tenue d’une conférence aux enjeux plus larges.

La conférence de Berlin ne s’apparente pas à un partage de l’Afrique pur et simple comme on le dit souvent. C’est caricatural.

La réunion a officiellement pour but de lutter contre l’esclavage et la traite organisée en Afrique, mais l’agenda officieux est tout autre, comme l’explique Joël Calmettes : « La conférence de Berlin ne s’apparente pas à un partage de l’Afrique pur et simple comme on le dit souvent. C’est caricatural. Elle a plus servi à définir des règles de bonne entente, des lois à respecter pour s’accaparer un territoire. Une sorte de charte de la colonisation ».

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Et tout le monde veut sa part du gâteau, pour des raisons différentes. Jules Ferry, alors ministre des Affaires étrangères français, estime que la colonisation constitue un projet essentiel pour maintenir l’unité nationale. C’est pourquoi il envoie le baron de Courcel, aïeul de Bernadette Chirac et grand diplomate de son temps, représenter les intérêts français à Berlin. Otto Von Bismarck, lui, est peu convaincu par l’expansion coloniale, mais s’implique malgré tout, de peur de voir les rivaux de l’Allemagne prendre le dessus.

Léopold II, roi sans empire mégalo

Aux côtés des géants européens, d’autres protagonistes tentent de tirer leur épingle du jeu. Parmi eux, le roi belge Léopold II, frustré de régner sur un royaume sans empire qu’il qualifie de « confetti ». Très impressionné par le récit de l’exploration de Stanley, parti à la recherche de Livingstone dans un célèbre voyage, il voit là l’occasion de se tailler un empire à sa mesure.

En 1878, il crée l’association internationale du Congo, officiellement organisée « à but philanthropique », à qui les membres de la conférence de Berlin reconnaissent une légitimité internationale lors des débats. Dès lors, le territoire annexé au Congo devient la possession personnelle de Léopold II. Un cas exceptionnel dans l’histoire, puisqu’un seul individu détient alors 2,5 millions de kilomètres carrés et la force de travail de tous les habitants sur place, ce qui fait de lui « le principal vainqueur objectif de la conférence », juge Joël Calmettes.

En Namibie, c’est un commerçant allemand qui a conquis le territoire en l’achetant pour 100 livres et 200 fusils.

Cet accord intervient après quatre mois de débats, le 26 février 1885, date à laquelle se termine la conférence. Elle fixe des règles sur l’occupation du continent africain : pour décréter la colonisation d’un territoire, il faut prouver son occupation, ce qui se traduit souvent par une simple prise de possession symbolique. Joël Calmettes donne un exemple parlant : « En Namibie, c’est un commerçant allemand qui a conquis le territoire en l’achetant pour 100 livres et 200 fusils. »

Mais plus généralement, la conférence de Berlin a surtout entériné une conception de l’Afrique comme ressource que l’on peut exploiter. Un regard qu’il faudra des décennies de luttes panafricaines et indépendantistes pour changer.

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