Une loi ciblant « la longueur des jupes » fait scandale au Burundi

Un projet de loi sur les violences basées sur le genre a été voté le 18 août par le Sénat. Un texte qui comporte une disposition controversée sur l’interdiction des « tenues indécentes » sur la voie publique.

Jeunes filles manifestants contre une loi interdisant le port de « tenues indécentes », au Swaziland, en 2012. © AFP/PABALLO THEKISO

Jeunes filles manifestants contre une loi interdisant le port de « tenues indécentes », au Swaziland, en 2012. © AFP/PABALLO THEKISO

Armel Bukeyeneza

Publié le 23 août 2016 Lecture : 3 minutes.

Les jeunes filles de la capitale n’en reviennent pas. Entendre que l’on ne peut plus porter sa jolie robe, sa jupe achetée à prix d’or, juste parce qu’elle est jugée trop courte ? Qu’il faut prendre ses leggins (pantalon moulant), les jeter à la poubelle pour le simple fait qu’ils exhibent des jambes de manière trop sexy ?

La nouvelle est tombée jeudi 18 août quand un projet de loi sur les violences sexuelles basées sur le genre, portant une disposition qui fait d’une « tenue indécente » une nouvelle infraction, a été voté au Sénat. La raison : il y aurait des tenues provocatrices qui attirent tous les regards, et qui seraient susceptibles d’entraîner des agressions sexuelles. Sous-entendu : les filles sont parfois responsables de ce qui leur arrive. Un discours misogyne qui provoque un tollé dans les rues de Bujumbura, et bien évidemment sur la Toile.

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Déjà des arrestations à Bujumbura

Au Burundi, la polémique ne cesse d’enfler. Certaines voix s’élèvent déjà pour rire au nez des sénateurs « qui ont voté un projet de loi comportant une disposition qui ne vise qu’à détourner l’attention des jeunes de leurs vrais problèmes ». D’autres s’en prennent directement à la police qui, zélée, a déjà commencé à mettre en pratique un texte qui attend toujours sa promulgation pour devenir une loi.

« Six filles viennent de se faire arrêter par la police au Lacoste Beach (une plage située au sud de la capitale) pour avoir porté des collants et des minijupes. J’ai dû emporter une sur ma moto qui était sur le point d’être appréhendée », témoignait déjà un conducteur de taxi moto, dimanche 21 août. Et de commenter la mesure avec raillerie : « Nous les motards allons être un peu à l’abri des policiers. Ils reviendront vers nous que quand ils auront épuisé les 2 000 Francs de ces jeunes filles [un billet réputé être fréquemment utilisé par les chauffeurs pour corrompre les policiers, NDLR] ».

Selon le gouvernement, il n’y a aucune clause qui parle expressément de minijupe et de collant mais d’habillement indécent qui constitue un attentat à la pudeur

Selon d’autres témoignages, d’autres arrestations ont été observées au centre-ville durant le même weekend. À en croire certaines sources, et les images qui circulent sur les réseaux sociaux, c’est la police anti-émeute, l’unité connue pour la terrible répression qu’elle mène dans les quartiers dits contestataires, qui conduisait l’opération.

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« Apprendre aux hommes à respecter les femmes »

Pour l’initiateur du projet de loi, Martin Nivyabandi, ministre des Droits de l’homme et du Genre, cette histoire de minijupe et de collant n’est qu’une invention de ceux qui veulent torpiller les initiatives de son ministère. Il s’en est expliqué dans un post Facebook, dimanche 21 août. « Après l’adoption du projet de loi sur les VSBG (violences sexuelles basées sur le genre), de fausses informations parfois malveillantes semblent faire l’anti-propagande de ce projet de loi. Il n’y a aucune clause qui parle expressément de minijupe et de collant mais d’habillement indécent qui constitue un attentat à la pudeur. Il serait sage de ne pas faire dire à ce projet ce qu’il ne dit pas ».

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Une justification qui passe mal aux oreilles de Pamela Mubeza, qui défend les droits des mères célibataires au sein de l’association Single mother association asbl (SMO). « Une tenue est indécente par rapport à quoi, à qui ? Et qui va juger ? », s’interroge-t-elle avant d’exprimer sa déception. « C’est dommage de voir que l’on doit toujours voter des lois, émettre des recommandations sur le corps des femmes. On devrait plutôt apprendre aux hommes à les respecter au lieu de continuer à restreindre le peu de droits qu’elles ont ».

La théorie de l’ourlet resurgit

Les autorités de Bujumbura reprendraient-elles à leur compte la fameuse (et controversée) théorie de l’ourlet de l’Américain Georges Taylor (1920) ? Celle-ci prétend établir une relation inverse entre la vitalité économique d’un pays et la longueur des jupes de ses habitantes… Quoi qu’il en soit, le débat trouve aujourd’hui un nouvel écho sur les réseaux sociaux, au vu des difficultés budgétaires actuelles du Burundi.

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