En Éthiopie, la colère gronde toujours en région Amhara

Les manifestations ont pour le moment cessé mais la colère gronde toujours à Bahir Dar, la capitale de la région Amhara dans le nord de l’Éthiopie, qui panse ses plaies après un bain de sang début août.

Des membres des communautés Oromo, Ogaden et Amhara en Afrique du Sud protestent contre la répression meurtrière en Éthiopie, le 18 août 2016 à Johannesburg. © Gulshan Khan/AFP

Des membres des communautés Oromo, Ogaden et Amhara en Afrique du Sud protestent contre la répression meurtrière en Éthiopie, le 18 août 2016 à Johannesburg. © Gulshan Khan/AFP

Publié le 20 août 2016 Lecture : 4 minutes.

Le mouvement de contestation anti-gouvernementale a donné lieu à une manifestation de grande ampleur le 7 août, au cours de laquelle au moins 30 manifestants ont été tués par les forces de sécurité éthiopiennes, selon un bilan d’Amnesty International.

« Je dirais au moins 50 morts ! » corrige Getachew (prénom d’emprunt, NDLR) à un journaliste de l’AFP, sur la base des corps qu’il a comptés à l’hôpital de la ville ce jour-là. Le jeune homme d’une trentaine d’années, habillé de noir, porte le deuil de son frère Abebe, 28 ans, tué de deux balles, l’une derrière la tête et l’autre dans le flanc, au cours de la manifestation à laquelle participait également Getachew.

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« Les Agazi étaient sur les toits. Ils ont commencé à tirer sur la foule, pendant que la police (au sol) lançait des gaz lacrymogènes », dit-il en évoquant les redoutées forces spéciales éthiopiennes reconnaissables à leurs bérets rouges et déployées en nombre à Bahir Dar. Tout en parlant, Getachew fait défiler les photos de victimes prises avec son téléphone portable.

Comme de nombreux manifestants, en signe de défiance au gouvernement, son frère Abebe portait sur ses épaules un drapeau éthiopien vert-jaune-rouge, amputé de l’étoile centrale ajoutée par le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF) lorsqu’il a chassé du pouvoir le dictateur Mengistu en 1991.

« Vous vous ferez tuer »

Getachew est l’un des rares à accepter de témoigner. Bahir Dar, petite ville touristique au bord du lac Tana, tout près des sources du Nil Bleu, panse encore ses plaies. Beaucoup refusent de parler, de peur de représailles des autorités.

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Les touristes ont déserté les hôtels et les guides s’ennuient à la recherche de clients.

« Si je dis quelque chose dans un café, le Kebele (comité de quartier) le saura. On ne peut faire confiance ni à ses voisins, ni à ses amis », confie l’un d’eux dans un hôtel de la ville.

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La peur est palpable. Depuis les manifestations, les arrestations se multiplient. « Cinq des amis d’Abebe ont été arrêtés après être venus à son enterrement. On ne sait pas où ils sont », dit Getachew.

Dans son village de Dangla au sud de Bahir Dar, Andualem, qui n’a pas pris part aux manifestations, a vu passer les forces de sécurité de maison en maison pour lancer un avertissement à ceux qui seraient tentés de manifester. « Ils disaient: ‘n’allez pas manifester ou vous vous ferez tuer. Gardez vos enfants et votre vie’ », témoigne-t-il.

L’internet sur les téléphones portables est bloqué, tout comme les réseaux sociaux, outil de mobilisation privilégié des jeunes activistes.

Une multitude de griefs viennent alimenter ce mouvement, largement désorganisé, contre la coalition qui dirige l’Ethiopie sans partage depuis 25 ans, aux premiers rangs desquels la corruption, l’absence de liberté et le sentiment des Amhara d’avoir été déclassés au profit de la minorité tigréenne qui forme l’ossature du régime.

Ashenafi (prénom d’emprunt, NDLR) est allé manifester « pour envoyer un message » à un gouvernement qu’il juge dominé par la minorité des Tigréens, crédité par la communauté internationale de spectaculaires résultats en matière de développement.

« Il y a un développement tangible. On ne peut pas nier les routes, les immeubles, l’accès à l’électricité, reconnaît-il. Mais tous les décideurs sont Tigréens. Ils dominent l’économie et la société. Toutes les industries sont dans le Tigré », assure-t-il. Une complainte récurrente en Ethiopie où les Tigréens occupent les postes-clés au sein des services de sécurité, du gouvernement et des grandes entreprises publiques.

Fédéralisme ethnique

Pour ces jeunes Amhara, la décision des autorités de rattacher la province de Wolkait (Nord) à la région du Tigré a mis le feu aux poudres. Le mouvement de contestation s’est joint à celui des Oromo qui manifestent régulièrement depuis novembre 2015 contre un projet d’appropriation de terres, abandonné depuis. Plusieurs dizaines de manifestants avaient également été tués les 7 et 8 août dans cette région du sud du pays. Oromo et Amhara forment ensemble plus de 60% de la population en Ethiopie.

La contestation vient remettre en cause le fonctionnement du « fédéralisme ethnique », un modèle censé accorder une représentation et la possibilité de s’auto-administrer à la multitude d’ethnies qui composent l’Ethiopie.

« Le fédéralisme ethnique ne fonctionne pas, parce qu’il n’est pas appliqué de manière égalitaire », avance Molla Wasie, membre du Parti Démocratique Agaw, une petite ethnie d’environ un million de personnes, en région Amhara.

« Aucune excuse pour les victimes »

« La situation est de plus en plus tendue. Le gouvernement et les partis d’opposition doivent se réunir pour trouver une solution », ajoute-t-il, avançant l’idée d’une « conférence nationale » pour réformer le système éthiopien.

Les manifestants de Bahir Dar n’y croient guère. Au lendemain des manifestations, les autorités ont annoncé un bilan très sous-évalué de sept morts, alimentant un peu plus le ressentiment.

« Ils n’ont présenté aucune excuse pour les victimes. Tout ce qu’ils disent, c’est que si quelqu’un sort, il y aura des conséquences », s’indigne Ashenafi, avant d’ajouter, pessimiste: « Je ne vois aucun signe qu’ils vont changer d’attitude ».

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