Ce jour-là : le 2 août 1997… Fela Kuti, le roi de l’Afrobeat, s’en va sur l’autre rive

Tout au long de sa vie, le père de l’afrobeat aura bravé la mort et les militaires du Nigeria. La signification de son nom en yoruba évoque la grandeur d’un artiste charismatique et mystique qui aura porté sa musique en bandoulière comme une arme de revendication massive.

Le chanteur nigérian Fela Kuti. © Capture d’écran YouTube

Le chanteur nigérian Fela Kuti. © Capture d’écran YouTube

Publié le 1 août 2016 Lecture : 4 minutes.

Fela Kuti aimait à répéter que « la musique était l’arme du futur ». C’est en effet par sa musique si dense et percutante, notamment grâce à ses cuivres et à ses paroles engagées, que le roi de l’afrobeat s’est érigé tout au long de sa vie comme un opposant politique de premier plan dans le Nigeria des années 1970 à 1990, dirigé par des régimes militaires successifs.

Fela : celui dont émane la grandeur

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Fela naît le 15 octobre 1938 à Abeokuta en pays yoruba, dans une famille bourgeoise et particulièrement engagée. Son père, Israël Oludotun Ransome-Kuti, est révérend et président du syndicat des enseignants, tandis que sa mère, Funmilayo Ransome-Kuti, est une nationaliste-activiste responsable de l’union des femmes nigérianes, qui joua un rôle déterminant dans la lutte indépendantiste.

Se destinant à des études de médecine, Fela est envoyé en Angleterre en 1958. Mais c’est finalement dans une toute autre discipline qu’il s’inscrira, au Trinity College of Music de Londres. En 1963, il revient au Nigeria chargé d’une expérience musicale riche. Chanteur et saxophoniste, il crée son groupe : les Koola Lobitos, qui emprunte des sonorités high-life (jazz ghanéen en vogue à partir des années 20). L’afrobeat est en balbutiement, il naîtra à l’Africa Shrine, le club que Fela ouvre au milieu des années 60 dans la tentaculaire ville de Lagos.

Anikulapo : celui qui a la mort dans sa poche

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L’ascension de l’afrobeat suit la radicalisation et la conscientisation politique de Fela. De retour au Nigeria en 1970 après une tournée au États-Unis où il rencontre des membres des Black Panthers et la scène free-jazz américaine, il change le nom de son groupe en Africa 70 pour montrer son attachement au panafricanisme. Fela cesse de chanter en yoruba pour s’adresser en pidgin (langue créole-anglais) à un plus large public africain. Dans de long morceaux rythmés, la voix grave et lancinante de Fela envoûte le public, ses textes prennent une dimension contestataire et libératrice à la fois des séquelles de la colonisation et des régimes militaires corrompus et violent qui étouffent le pays.

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Au début des années 70, alors que Fela est au sommet de son art et à la pointe de la contestation politique au Nigeria, le musicien déclare depuis sa maison et son studio d’enregistrement situé à Mushin, dans une banlieue populaire de Lagos, l’indépendance de la République de Kalakuta. Kalakuta, qui signifie « gredin » en yoruba, est également le nom de la cellule dans lequel il était emprisonné pour détention de stupéfiants. Il y délimite la frontière en posant des fils barbelés. Kalakuta devient une réelle société alternative, où on retrouve les danseuses de l’artiste, ses musiciens, des exclus de la société nigériane et même un hôpital gratuit.

La période est extrêmement prolifique. En 1976, Fela enregistre la chanson Zombie, violemment anti-militariste, Fela se moque des militaires nigérians qu’il compare à des zombies en raison de leur agressivité et de leur aveuglement face aux ordres. La chanson rencontre un succès phénoménal et conforte Fela dans sa position d’opposant.

Las de l’extrême popularité du roi de l’afrobeat et de ses incessantes critiques, le général et chef de l’État, Olusegun Obasanjo, ordonne l’assaut sur Kalakuta le 18 février 1977. Un millier de militaires entourent puis entrent dans la propriété de Fela avec une violence inouïe, violant, brûlant, pillant. La mère de Fela, Funmilayo Ransome-Kuti, est défenestrée par les militaires, et succombera de ses blessures quelques mois plus tard.

Kuti : celui dont la mort ne peut être causé par la main de l’homme

À la suite de l’assaut de Kalakuta, Fela s’exile au Ghana, épouse ses 27 danseuses au cours du cérémonie vaudou et entreprend une tournée triomphante en Europe, aux États-Unis et en Afrique.

En 1979, la situation politique au Nigeria semble s’apaiser, avec le retour à un régime civil. Fela revient au Nigeria et fonde son parti le MOP (Mouvement of the People) en 1981, dans le but de se présenter à l’élection présidentielle. Le répit est de courte durée, les autorités l’incarcèrent encore une fois pour détention de stupéfiants. En 1984, à peine sorti de prison, le régime militaire de Muhammadu Buhari le renvoie derrière les barreaux pour trafic illégal de devises alors qu’il s’apprêtait à s’envoler pour New-York afin d’y enregistrer un nouvel album. Condamné à 10 ans de détention, Fela sortira après un enfermement de 18 mois grâce à la mobilisation internationale d’artistes et à la chute de Buhari.

Très affaibli par les sévices subis lors de ses multiples séjours en prison et atteint du sida, Fela ralentit sa production musicale, mais continue toujours de se produire plusieurs fois par semaine dans son club, l’Africa Shrine. avant de mourir, le 2 août 1997, il laisse à l’aîné de ses fils : Femi Kuti le soin de perpétuer l’afrobeat.

Le 12 août 1997, Fela est inhumé aux cotés de sa mère. Une foule immense et joyeuse vient rendre un dernier hommage au père fondateur de l’afrobeat dans sa résidence de Kalakuta. Bien qu’il a combattu toute sa vie les militaires, ces derniers décrètent un deuil national et saluent l’un des hommes les plus valeureux de la nation nigériane.

Retrouvez ci-dessous l’article consacré à Fela Anikulapo Kuti paru dans Jeune Afrique n°1910-1911 du 13 au 26 août 1997.
N’hésitez pas à agrandir la fenêtre de lecture pour plus de confort.

Fela, La Rébellion Dans l’Âme by jeuneafrique on Scribd

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