Lexxus Legal : « Papa Wemba nous a tellement donné »

Lexxus Legal a orchestré un hommage musical pour le roi de la rumba, « Nkoyi » (Léopard), un morceau 100% tetela sorti le 3 mai (à découvrir ci-dessous). Pour Jeune Afrique, le rappeur congolais partage ses souvenirs du roi de la rumba. Interview.

Papa Wemba à Paris, le 10 avril 2014. © Vincent Fournier / Jeune Afrique

Papa Wemba à Paris, le 10 avril 2014. © Vincent Fournier / Jeune Afrique

Publié le 4 mai 2016 Lecture : 3 minutes.

« Depuis la triste nouvelle, le silence me parle, les mots me boudent. Je suis peut-être en manque d’inspiration et c’est tant mieux. » Comme beaucoup, Lexxus Legal était en état de choc après avoir appris, le 24 avril, la mort brutale de Papa Wemba, à 66 ans, alors qu’il se produisait à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Le rappeur congolais a maintenant retrouvé son flow et a même orchestré un hommage musical pour le roi de la rumba. Un roi avec qui il partage des origines dans la province du Sankuru (Centre), et qui l’avait accompagné sur l’un des morceaux engagés de son dernier album, Léop’Art, sorti fin 2015.

Jeune Afrique : Votre featuring avec Papa Wemba sur « Ahende » semble avoir été sa dernière collaboration…

la suite après cette publicité

Lexxus Legal : En effet, de l’intérieur du pays, ce featuring semble être le dernier qu’il ait accordé. J’ai un sentiment d’inachevé mais comment lui en vouloir… Il nous a tellement donné.

Quel est le message de « Ahende », qui signifie « deux » en langue tetela, que vous avez en commun ?

Il faut être deux pour parvenir à l’unité. C’est un message pour l’unité des peuples ayant pour langue le tetela… Cette partie du pays (le Sankuru) à été secouée plusieurs fois par des violences orchestrées par ses propres fils – des notables – pour des raisons de positionnement politique.

Pour lui rendre hommage, vous avez décidé d’écrire « Nkoyi » (Léopard), un morceau 100% tetela qui sort le 3 mai…

la suite après cette publicité

Je n’avais presque jamais fait ça. Au retour d’Abidjan avec son corps dans la soute, j’ai eu une envie forte de lui montrer ma reconnaissance mais l’idée ne me plaisait pas trop.

Arrivé à l’aéroport de Ndjili – au vu de l’émotion, des pleurs – j’ai décidé deux jours plus tard d’aller au studio en invitant quatre musiciens folkloriques tetela. Ces artistes sont folk – griot, conteur, chanteur populaire et instrumentiste. Je ne voulais pas seulement rendre hommage mais le célébrer à la manière de chez nous. Griotique, car cela fait partie intégrante de notre culture. C’était un chef coutumier, donc Nkoyi (Léopard).

la suite après cette publicité

La conception de ce morceau s’est faite très vite…

Ces artistes chantent bénévolement en tetela tous les soirs dans les rues de Matonge (où Papa Wemba a passé une grande partie de sa vie) depuis la nouvelle du décès, comme pour rappeler aux uns et aux autres que Papa avait des « sujets ».

Pour m’éviter de pleurer, je voulais une chanson guerrière, joyeuse, avec de l’émotion… Un peu comme des soldats qui vont enterrer un général.

Papa Wemba sera enterré loin de sa terre natale. Cela vous a-t-il surpris ?

Il y a eu beaucoup des tractations entre la communauté tetela, les organisateurs – l’État – et la famille… Papa n’appartenait plus qu’aux Tetela, mais à l’ensemble du Congo, à l’Afrique et au monde. J’aurais voulu au moins que sa dépouille ait fait un tour éclair au Sankuru avant l’enterrement à Kinshasa…

Papa Wemba m’a appris, comme beaucoup, à avoir de l’humilité dans l’art. À être au service de l’art et non mettre l’art au service de son ego

Vous dites que, pour vous, Papa Wemba est un professeur. Pourquoi ?

Professeur car il m’a appris, comme beaucoup, à avoir de « l’humilité » dans l’art. À être au service de l’art et non mettre l’art au service de son ego. L’ouverture d’esprit et la disponibilité envers l’autre, peu importe son niveau de connaissance. Il ne m’a pas forcément inspiré mais je dirais que Papa Wemba a contribué à forger un caractère à ma musique : l’ouverture aux autres genres sans renier mes origines.

Quel est le meilleur souvenir que vous gardez de lui ? De vos échanges ?

J’ai tellement de souvenirs que je n’ai pas encore le recul nécessaire pour élire le meilleur… Son humanité ainsi que sa conviction inébranlable que sa voix était un don de Dieu. À chaque fois qu’on échangeait, j’avais l’impression qu’il construisait une histoire personnelle avec chacun de ses interlocuteurs… Il voulait d’une certaine manière qu’on se nourrisse de lui…

Lors d’un meeting de l’opposition le 24 avril à Kinshasa, un leader a demandé aux militants d’observer une minute de silence pour Papa Wemba, mais certains ont refusé en affirmant qu’il était dans le camp du président Joseph Kabila, qu’ils accusent de vouloir s’accrocher au pouvoir après la fin de son mandat en décembre 2016. Qu’en pensez-vous?

Je ne perds pas de vue que la situation tragique de notre pays est l’œuvre de l’irresponsabilité, doublée d’un amateurisme politique, dans les deux camps. Nier l’œuvre de Papa Wemba ou sa personnalité en lui attribuant l’appartenance à un camp politique adverse est une preuve que beaucoup ne sont pas encore prêts pour la démocratie qu’ils prétendent défendre. Penser que son leader est meilleur que celui de l’autre camp, c’est souffrir d’une cécité.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires