Récit : les trois derniers jours de Papa Wemba à Abidjan

Papa Wemba s’est éteint le 24 avril sur la scène du Femua à Abidjan. Jeune Afrique venait de passer trois jours en compagnie du roi de la rumba congolaise. Récit exclusif.

Papa Wemba en avril 2014. © Vincent Fournier pour J.A.

Papa Wemba en avril 2014. © Vincent Fournier pour J.A.

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Publié le 27 avril 2016 Lecture : 5 minutes.

Tout avait pourtant si bien commencé le 19 avril. Et tout s’était si bien poursuivi… De l’avis de la presse locale et internationale, cette 9e édition du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) s’avérait une grande cuvée et ce raout ivoirien s’imposait définitivement comme un des grands événements musicaux du continent. Plus de concerts qu’auparavant étalés sur six jours, dont un show « exporté » à Korhogo, dans le Nord afin que le pays profond puisse, lui aussi, profiter de la fête. Près d’une trentaine d’artistes venus des quatre coins du continent et d’ailleurs, de la Camerounaise Charlotte Dipanda au rappeur français Kery James.

Qui dit mieux ? Les quatre Gaous du Magic System, qui président aux destinées du Femua, pouvaient être satisfaits du chemin parcouru et Asalfo, le leader et commissaire général de l’événement, se tournait déjà vers la prochaine et très spéciale édition puisqu’elle serait la dixième du nom…

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Goût de cendres

Et puis, soudain, ce terrible goût de cendres qui vous reste en bouche plusieurs jours plus tard… Ce samedi 23 se tenait le dernier concert à Abidjan avant la clôture, le lendemain. Quel final ! Mais pas celui attendu. À 5h du matin, il est déjà dimanche, dans la chaleur suffocante d’une nuit africaine caniculaire, Papa Wemba, la tête d’affiche, monte sur scène. « Bonjour Anoumabo ! On va vous emmener au pays de la rumba ». Une pause. « Non au terrorisme ! ». Façon très professionnelle de montrer sa solidarité avec les Ivoiriens après la fusillade de Grand-Bassam du 13 mars dernier et de céder très vite la place au plaisir de la musique. Ce seront ses dernières paroles.

Pendant quelques secondes, médusés, on veut croire à une « jamesbrownerie »

Après deux titres, les 20 000 spectateurs assistent au spectacle de la star qui s’étale en arrière de tout son long, avec micro et pied de micro. Pendant quelques secondes, médusés, on veut croire à une « jamesbrownerie » quelconque de la part du rossignol de la chanson congolaise ; on s’attend à ce que deux assistants surgissent des coulisses pour l’éponger, le « soigner » à coups de breaks orchestraux ; on s’attend à ce que la star se remette soudainement sur ses pieds comme avait coutume de le faire l’auteur de « Sex Machine ». On a tout faux : Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba alias Papa Wemba ne se relèvera pas. Plus de show mais l’entrée brutale en scène d’une guest-star imprévue, la mort, dans l’affolement et la stupeur.

Bien entendu, aussi, tristesse et désarroi du public, des journalistes et membres de l’organisation avant de quitter cette artère d’Anoumabo où avait été dressé le podium du Femua. Mais à bien y repenser, ne venions-nous pas de vivre trois jours pour le moins étranges, extraordinaires dans cet hôtel que la presse partageait avec la vedette kinoise ? Dans cette vraie-fausse intimité propre à ce genre de situation « festivalière », tout est certes possible, mais quand même….

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Nous aurions pu nous douter qu’ « il se tramait quelque chose » quand, en le voyant, on en est arrivé, on ne sait comment, à ne plus penser à l’homme de l’Affaire Ngulu (cochon en lingala) – qui lui valut de faire trois mois et demi de prison en France, en 2003 ; ni au ténor de la rumba congolaise qui fut le premier à accéder à une carrière internationale ; ni non plus à ses extravagances et autres frasques sexuelles et extra-conjugales qui faisaient autrefois jaser tout-Kinshasa ; pas plus qu’au roi ultra-fringué de la sape, ce mouvement de curieux dandys censé exprimer la désapprobation rebelle de la jeunesse des années 1980-1990 face au Mobutisme. Non, tout ça, c’est bon pour une nécro.

Un sapeur « désapé »

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Du 21 au 24 avril, on a été bien loin de ces images du passé. On a côtoyé un ancien prodiguant des conseils ou s’attendrissant tour à tour, un « vieux père » comme disent les Ivoiriens, qui trônait, apaisé, dans le lobby de l’hôtel, au milieu de sa famille, en l’occurrence une de ses sœurs qui vit depuis plus de 50 ans à Abidjan et ses filles et petite-filles. On a fréquenté pendant trois jours un sapeur « désapé ». Celui qui n’hésitait pas à arborer les looks les plus flamboyants et à en changer plusieurs fois par jour arbora à Abidjan la même tenue deux jours de suite : un simple pantalon de training aux dessins géométriques accompagné de chaussures de voile tout aussi simples. Inconcevable il y a encore cinq ans !

Et que dire de son rapport à son art, lui qui fut un des chanteurs les plus exceptionnels qu’ait connu la RD Congo, un des fondateurs du soukouss, un des géants de la scène kinoise ? Ce fut inutile de le féliciter pour son dernier album, Maître d’école, bel opus, le plus abouti de ses dernières années. Ces compliments ne lui arracheront qu’un doux sourire et un « merci » non moins doux.

Ses pensées étaient en fait manifestement ailleurs ou allaient plutôt vers un ailleurs

Guère de confidences non plus sur ses projets. Comme si la musique n’était plus essentielle pour lui… Ses pensées étaient en fait manifestement ailleurs ou allaient plutôt vers un ailleurs qu’il avait du mal à définir. Il le dira et le répétera inlassablement au micro de divers médias : il voulait mourir sur scène comme Molière ! Prémonition ? « Je me sens de plus en plus léger en concert. C’est comme si j’étais en apesanteur », nous confiera-t-il un jour, au petit-déjeuner.

De même quel étonnement d’entendre cet homme, pudique comme la plupart des Africains, évoquer sa relation avec son épouse, la célèbre Marie-Rose Luzolo surnommée Maman Amazone ! « J’ai eu beaucoup de torts et je voudrais réparer. Je souhaiterais parler franchement avec elle. Elle est la femme parmi les femmes. » À vrai dire, il s’agissait d’un véritable bilan…

Il parlait, il parlait, Papa !

Et durant ces trois jours, il parlait, il parlait, Papa ! À qui le croisait et avec qui il sympathisait. Ainsi cette jeune Ivoirienne avec qui il eut une longue conversation. Une conversation qui roulait sur les esprits : « Crois-tu aux esprits ? Si tu y crois, c’est que tu es une véritable Africaine… Tu es quoi ? Ivoirienne ? Tu te sens d’abord africaine ? C’est bien ! C’est ça, ta véritable identité. » Mais aussi, ce qui n’était apparemment pas une contradiction à ses yeux, sur Dieu : « Maintenant que je me suis donné à Dieu, je vois la vie autrement. ». Ou encore sur ses racines : « Je suis bantou et fier de l’être. Je suis fier de la culture bantoue mais il y a des choses que je ne comprends pas. Pourquoi toujours cette approche magique des choses ? Pourquoi toujours vouloir trouver un responsable ? Pourquoi accuser une mère quand un de ses enfants meurt du paludisme ? C’est ce côté mystique qui freine parfois le développement de l’Afrique. ».

Non, décidément, ce ne furent pas trois jours tranquilles à Abidjan…

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