Burundi : appels à la haine et ultimatum à hauts risques

À Bujumbura soumise aux affrontements quasi quotidiens entre opposants et forces de l’ordre, les discours menaçants prononcés par des responsables du régime de Pierre Nkurunziza se multiplient. Certains emploient même une rhétorique rappelant les heures sombres du Rwanda voisin.

La cérémonie d’investiture du président Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat jugé inconstitutionnel, le 20 août 2015 à Bujumbura. © Gildas Ngingo / AP / SIPA

La cérémonie d’investiture du président Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat jugé inconstitutionnel, le 20 août 2015 à Bujumbura. © Gildas Ngingo / AP / SIPA

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Publié le 6 novembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Samedi 7 novembre expire l’ultimatum fixé par le président Pierre Nurunziza aux contestataires burundais accusés de détenir des armes. Dans un discours à la nation en kirundi, tenu le 2 novembre, sur la chaîne nationale, le chef de l’État exhortait les détenteurs d’armes à feu résidant dans la capitale à les remettre spontanément aux forces de l’ordre. « Ceux qui ne répondront pas à cet appel au plus tard le 7 novembre seront considérés comme des criminels, passibles de la loi antiterroriste, et seront combattus en tant qu’ennemis du pays », avertissait Nkurunziza, tout en incitant les forces de l’ordre « à utiliser tous les moyens disponibles » pour dénicher ces armes « dans les moindres recoins » de la ville à partir du 8 novembre.

Pour la population de Bujumbura, la menace d’une opération de répression de grande envergure, sous prétexte de désarmement, est prise d’autant plus au sérieux qu’au cours des derniers jours, plusieurs officiels du régime ont relayé énergiquement le discours du président. C’est ainsi que dès le 29 octobre, le président du Sénat galvanisait les élus locaux de Bujumbura, coupables à ses yeux de ne pas faire montre du zèle approprié face à cette menace diffuse apparue au lendemain de la réélection de Pierre Nkurunziza. Face au harcèlement policier dans les quartiers de la capitale suspectés d’être des bastions de l’opposition au troisième mandat du leader du CNDD-FDD, des habitants ont en effet monté des groupes d’autodéfense ou mené des actions subversives contre la police. « Il ne se passe pas une nuit sans qu’on n’entende des coups de feu ou une explosion de grenade, témoigne Désiré, un habitant de Mutakura. Souvent, lors de leurs patrouilles, les policiers tirent sans raison pour voir si des gens répliquent. Et lorsque les forces de l’ordre arrivent en grand nombre pour procéder à des arrestations, les affrontements commencent. »

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« Un véritable appel à la guerre civile »

Le 29 octobre, selon le site officiel du Sénat burundais, Révérien Ndikuriyo a donc « exhorté les élus locaux à travailler en synergie avec les forces de sécurité dans leurs quartiers » afin de traquer sans répit les insurgés. Mais la traduction exhaustive de son intervention, enregistrée à son insu avant de circuler sur les réseaux sociaux, emprunte un registre clairement inspiré des médias rwandais qui avaient incité au génocide des Tutsis, entre 1991 et 1994.

Le registre lexical rappelle aux connaisseurs du génocide de 1994 au Rwanda de sinistres souvenirs : « travailler », « pulvériser », « mettre le paquet » – autant de paraboles suggérant l’extermination

« Si vous semez le trouble dans les quartiers, c’est dans vos quartiers que tout sera anéanti ! », prophétise Révérien Ndikuriyo. « Moi, je suis un représentant du peuple mais je dis à ceux qui ont gardé le silence : le jour où l’autorisation de passer à l’action sera donnée, et que la retenue actuelle prendra fin, où irez-vous? » À de nombreuses reprises, l’expression « passer à l’action » est répétée. Et le registre lexical rappelle aux connaisseurs du génocide de 1994 au Rwanda de sinistres souvenirs : « travailler », « pulvériser », « mettre le paquet » – autant de paraboles suggérant l’extermination.

« C’est un brûlot indigne des fonctions que son auteur occupe à la tête du Sénat », considère l’historien Jean-Pierre Chrétien, spécialiste du Burundi et co-auteur d’un ouvrage de référence : Rwanda, les médias du génocide. « Il s’agit d’un véritable appel à la guerre civile, à la mise à mort des opposants, au pillage des biens et à un contrôle totalitaire du pays. L’évocation du ‘feu de brousse’ et du ‘travail’ relèvent de la pire rhétorique dans l’histoire régionale, celle qui a présidé à une logique génocidaire. Surtout, le ton menaçant, vulgaire et haineux rappelle celui des journalistes de la RTLM [radio privée des extrémistes hutus rwandais], dans un pays où les médias indépendants ont été interdits. »

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« C’est un génocide qui a commencé », déclarait au quotidien français Libération, ce mercredi, l’intellectuel en exil David Gakunzi. Une analyse alarmiste, par analogie avec la situation rwandaise de 1994, qui est toutefois loin de faire l’unanimité. « Il y a chez certains dirigeants burundais le désir de réveiller la division ethnique, analyse un chercheur européen qui préfère conserver l’anonymat. Cela apparaît notamment dans leurs – vains – efforts pour provoquer les autorités rwandaises et mettre en scène une opposition hutu-tutsi de part et d’autre de la Kanyaru. »

« Ça fait des mois qu’on entend des discours qui cherchent à assimiler les contestataires aux Tutsis, confirme Innocent Muhozi, directeur de plusieurs radios indépendantes, aujourd’hui exilé dans un pays voisin. Mais cette tentative d’ethniciser la crise n’a pas pris ; les fers de lance de l’opposition au troisième mandat sont, dans une large mesure, des Hutus. »

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Découvertes macabres quotidiennes

À Bujumbura, dans ce climat d’extrême tension, la population se prépare au pire. Depuis l’ultimatum présidentiel, dans les quartiers réputés abriter les « insurgés », certains habitants ont fait leurs valises à la hâte. « Ce soir, je ne dors pas chez moi, témoigne Jeanne, une fonctionnaire qui réside à Cibitoke, l’un des quartiers stigmatisés par le président du Sénat dans son récent discours. J’ai déjà réuni quelques affaires et je vais me réfugier pendant quelques jours chez une cousine au sud de Bujumbura, où, ces derniers temps, il y a un semblant de calme ».

À Mutakura, au nord de la capitale, trois personnes ont été tuées, pendant la nuit du 4 novembre, lors d’une intervention policière. Un autre corps, décapité, a été retrouvé dans le quartier voisin de Buterere. Des découvertes macabres devenues quotidiennes. L’ultimatum de Pierre Nkurunziza préfigure-t-il un durcissement tragique, côté gouvernemental ? Ou les discours récents relèvent-ils du bluff voire de la forfanterie, de la part d’un régime de plus en plus isolé sur la scène internationale?

« On vous aura prévenus, nous allons utiliser tous les moyens, même des avions », déclarait cette semaine le premier vice-président, Gaston Sindimwo, cité par le site d’information Iwacu. « Que les leaders politiques avertissent leurs militants : les polémiques n’ont plus de place, la récréation est finie ». « La violence policière va redoubler d’intensité, anticipe un journaliste burundais a Bujumbura. On s’attend à une intervention plus musclée que d’habitude, d’autant que jusque-là, aucune arme n’a été remise aux autorités. »

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