Guinée équatoriale : la deuxième jeunesse d’El Presidente

Il se sentait seul, très seul. Alors le président équato-guinéen,Teodoro Obiang Nguema, a multiplié les opérations séduction : main tendue à l’opposition, ouverture au monde lusophone, active politique d’intégration régionale, organisation de la CAN… Et ça marche : ses pairs africains, Washington et Paris lui sourient.

Avec le président François Hollande, à l’ONU, à New York, en septembre 2014. © Alain Jocard/AFP

Avec le président François Hollande, à l’ONU, à New York, en septembre 2014. © Alain Jocard/AFP

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 18 février 2015 Lecture : 5 minutes.

Qui saurait décrire avec justesse le sentiment éprouvé par l’énigmatique Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, 72 ans, ce 9 février au matin, lorsque Annick Girardin, la secrétaire d’État française au Développement et à la Francophonie, est venue s’installer à ses côtés, au Palais du peuple de Malabo ? Cinq années s’étaient alors écoulées sans qu’aucun responsable français ne daigne rendre visite au président équato-guinéen sur son île capitale.

Et, en ce lendemain de clôture de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), fort des remerciements exprimés par quelques chefs d’État africains et par l’Union africaine, auréolé des félicitations des instances internationales du football, il n’a pas boudé le plaisir de cette entrevue de près d’une heure. Comme la cerise sur un gâteau patiemment confectionné.

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Pour le président Obiang, traité en paria, pris dans le tourbillon des biens mal acquis – dont le principal accusé est son fils, Teodorín -, ses échanges avec la France durant toutes ces années se sont résumés à des passes d’armes judiciaires, auxquelles il a répondu en invoquant un complot fomenté par des forces maléfiques acharnées à sa perte et à celle de son peuple.

Lui, le francophone qui aime déambuler sur les artères chics de Paris, a vu une troupe de juges poser des scellés, avenue Foch, sur ce qui ressemblait davantage à un hôtel particulier à l’usage exclusif de Teodorín qu’à une succursale diplomatique, ainsi qu’il le clame encore aujourd’hui. Voitures de luxe confisquées, garde-robe dispendieuse étalée devant une presse avide de scandales… Un camouflet qui s’est répété au-delà de l’Hexagone : aux États-Unis, sous la pression de Leslie R. Caldwell, la pugnace procureure générale adjointe, son fils, toujours lui, a dû se résoudre à abandonner l’ensemble de ses avoirs et biens, estimés à 30 millions de dollars (26,5 millions d’euros), pour éviter un procès retentissant.

Poignée de main glaciale

Tout pourrait désormais changer. La visite de la secrétaire d’État française est en effet venue concrétiser un rapprochement amorcé à New York, en septembre 2014, en marge du sommet de l’ONU sur le climat. Une accolade chaleureuse entre François Hollande et le président équato-guinéen avait alors effacé la poignée de main glaciale qu’avaient échangée les deux hommes sur le perron de l’Élysée en décembre 2013, lors du Sommet extraordinaire sur la paix et la sécurité. Le chef de l’État français s’engage alors à faire venir au plus tôt, à Malabo, un membre de son gouvernement. Annick Girardin, désignée, choisit la finale de la CAN pour s’y rendre.

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Quelques semaines plus tôt, en août 2014, à Washington, Teodoro Obiang avait déjà senti un vent nouveau souffler sur ses relations diplomatiques. Au Sommet États-Unis – Afrique, une photo protocolaire prise à la Maison Blanche, sur laquelle figuraient Michelle et Constancia Mangue Nsue, leurs épouses respectives, immortalisait sa rencontre avec Barack Obama. Surtout, en marge de la conférence, Malabo signait un accord open sky avec les États-Unis, laissant présager une présence américaine accrue sur le sol équato-guinéen. La détente était en marche.

El Presidente, qui fêtera le 3 août ses trente-six ans de règne, récolte là le fruit d’une apparente stratégie d’ouverture démocratique amorcée il y a un peu plus d’un an. Fin 2013, il charge le principal parti d’opposition, la Convergence pour la démocratie sociale (CPDS), dirigé par Andrés Esono Ondo et très lié aux socialistes espagnols, de réunir à Madrid la myriade de partis en exil. But de la manoeuvre : leur proposer un dialogue national à Malabo, en novembre de l’année suivante. Initiative qu’il fait connaître au monde entier huit mois plus tard, lors d’une allocution télévisée.

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Si finalement cette table ronde sera qualifiée de « mascarade » par beaucoup de leaders de l’opposition (nombre d’entre eux ont refusé de rentrer au pays faute de garanties suffisantes quant à leur sécurité), « il convient de saluer ce premier pas vers une ouverture démocratique », estime une source diplomatique française. Qui ajoute : « M. Obiang a par ailleurs décrété il y a un an un moratoire sur la peine de mort. En attendant son abolition, c’est un signe encourageant. » Une décision qui a entre autres permis au Presidente de remplir l’une des conditions nécessaires pour intégrer, en juillet 2014, la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). Tant pis si le pays n’est pas lusophone : le portugais est désormais la troisième langue officielle, avec l’espagnol et le français.

Sponsoriser une école de samba

En fin politique, Obiang sait que cette nouvelle adhésion (il fait déjà partie de l’Organisation internationale de la francophonie) lui ouvre une porte supplémentaire sur la scène diplomatique mondiale : le Brésil est en effet une puissance économique non négligeable. Amateur du festival de Rio, auquel il assiste depuis dix ans, Obiang a d’ailleurs décidé de sponsoriser pour 10 millions de reals (plus de 3 millions d’euros) l’une des plus prestigieuses écoles de samba, la Beija-Flor de Nilópolis…

En outre, au sein de la CPLP, Malabo rejoint cinq pays africains, dont l’Angola et São Tomé-et-Príncipe, déjà membres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac). Une manière d’asseoir l’influence régionale d’Obiang Nguema, qui a déjà réussi à imposer, en 2010, Lucas Abaga Nchama à la tête de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac).

Si elle se concrétisait, la prise de contrôle de la présidence de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), pour laquelle son candidat, Rafaël Tung Nsue, actuel président de l’autorité des marchés (Cosumaf), est bien placé, offrirait au pays une mainmise financière sur la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Qu’importent les émeutes qui ont fait 36 blessés le 5 février, lors de la demi-finale de la CAN entre la Guinée équatoriale et le Ghana.

Qu’importe, aussi, la vague d’arrestations qui a suivi – selon le CPDS, près de 600 supporters équato-guinéens, dont des mineurs, détenus à « Guantánamo », surnom donné au centre de détention de Malabo. Qu’importent, enfin, les gesticulations d’une opposition qui s’échine à dénoncer une pauvreté rampante malgré un PIB par habitant parmi les plus élevés d’Afrique. En vieux loup de mer, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo a réussi un coup de maître : s’assurer qu’il est le seul capitaine à bord et qu’il peut mener sa barque comme il l’entend.

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