Maroc : Abdellatif Hammouchi, de l’ombre à la lumière

Il y a un an, le patron du renseignement intérieur marocain était convoqué par une juge française, ce qui provoquait une crise diplomatique entre Paris et Rabat. Aujourd’hui, la France le promeut dans l’ordre de la Légion d’honneur.

Abdellatif Hammouchi pilote, la DGST et la DGSN, les deux services sécuritaires les plus importants du pays. © DR

Abdellatif Hammouchi pilote, la DGST et la DGSN, les deux services sécuritaires les plus importants du pays. © DR

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Publié le 24 février 2015 Lecture : 3 minutes.

Il est celui par qui, bien malgré lui, le scandale est arrivé et celui que la France, une fois la parenthèse refermée, entend honorer un peu comme on présente ses excuses. Le scandale – vu de Rabat -, c’était en février 2014 : l’irruption d’une escouade de policiers à la grille de la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Neuilly, venus délivrer la convocation par une juge du tribunal de Paris du directeur de la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire), Abdellatif Hammouchi. Motif : trois plaintes pour « complicité de torture », instruites au nom du principe de compétence universelle.

L’implication du patron du renseignement intérieur était pour le moins fragile et discutable – « c’est un peu comme si on poursuivait le chef du FBI parce qu’un de ses agents avait molesté un prévenu », commente un haut fonctionnaire de la police française -, mais elle déclencha une crise profonde entre les deux pays. Les excuses, ou ce qui en tient lieu, viendront un an plus tard.

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Ce 14 février, en visite à Rabat, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a rendu un vibrant hommage au travail de la DGST en matière de lutte contre le terrorisme et « en premier lieu » à Abdellatif Hammouchi. Avant d’annoncer que ce dernier serait élevé au grade d’officier (il est déjà chevalier depuis 2011) de la Légion d’honneur. Une distinction qui, selon nos informations, devrait lui être remise le 14 juillet.

Sécurocrate dévoreur de dossiers

Réservé, pieux, père de famille, workaholic : la vie de ce natif de Taza (nord-est du Maroc) n’est pas de celles qui encombrent Wikipédia. À 48 ans, Hammouchi cultive plus que jamais la discrétion, celle de son bureau de Témara et celle d’une vie de sécurocrate dévoreur de dossiers. Alors il faut, pour savoir, pister les traces et interroger les proches. Famille plutôt modeste, brillantes études de droit à Fès, diplômes en sciences politiques et spécialités dans les domaines de la sécurité et du renseignement à Paris, Londres et Washington, trilingue (arabe, français, anglais) et une carrière entamée à l’ombre du ministère de l’Intérieur, en 1991.

En décembre 2005, son mentor appelé à d’autres fonctions, Abdellatif Hammouchi est nommé à la tête de la DGST. Il a alors 39 ans.

Sous la houlette de Driss Basri, la DST marocaine est alors réputée pour ses méthodes expéditives. Jeune analyste, Hammouchi ne fréquente guère le terrain, et c’est tout naturellement qu’après le limogeage de Basri il accompagne le général Laanigri, nouveau patron d’une « maison » désormais affranchie de l’Intérieur, dans son travail de modernisation.

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Après les attentats de Casablanca en 2003, ce dernier lui confie la tâche d’observer et d’étudier l’implantation de l’islamisme radical au Maroc. Rapidement, Hammouchi en devient un spécialiste averti, comme en témoigne une remarquable étude sur la genèse et les ramifications de la confrérie du Cheikh Yassine, que J.A. a pu, à l’époque, consulter. Le roi Mohammed VI ne tarde pas à remarquer celui que Laanigri présente comme son bras droit. En décembre 2005, son mentor appelé à d’autres fonctions, Abdellatif Hammouchi est nommé à la tête de la DGST. Il a alors 39 ans.

Professionnalisme reconnu

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Depuis, du démantèlement des réseaux jihadistes à la lutte contre le trafic de drogue et le crime organisé, en passant par le mouvement du 20-Février et l’attentat contre le café Argana de Marrakech, ce haut fonctionnaire affable n’a guère eu le temps de chômer. Bien qu’il n’ait pas suivi la voie du Collège royal, comme son homologue de la DGED (renseignements extérieurs) Yassine Mansouri – avec qui il partage un profil similaire, fait de discrétion et d’interminables journées de travail -, Hammouchi est un pur produit de la « génération M6 ».

Ceux qui ont eu à le rencontrer, à l’instar de l’auteur de ces lignes, et à établir la comparaison avec quelques-uns de ses prédécesseurs des années de plomb décrivent un homme dont le professionnalisme a été salué par plusieurs chefs d’État et de gouvernement étrangers (George W. Bush, Nicolas Sarkozy, Barack Obama, Mariano Rajoy) et qui a ouvert le siège de la DGST à Témara aux visites de parlementaires, de magistrats et de militants associatifs.

L’imaginer en tourmenteur d’opposants, à l’instar d’un Oufkir ou d’un Basri, a donc quelque chose de surréaliste – même si les six à huit mille agents sous ses ordres ne sont pas tous des saints. Encore faudrait-il, pour l’admettre, changer de logiciel et déchausser les lunettes de Gilles Perrault…

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