L’élégance discrète d’Ebouaney

L’acteur camerounais tourne avec les plus grands et enchaîne les films avec une certaine sérénité. Portrait.

Le comédien Eriq Ebouaney © Mélanie Frey pour J.A

Le comédien Eriq Ebouaney © Mélanie Frey pour J.A

ProfilAuteur_NicolasMichel

Publié le 3 février 2010 Lecture : 4 minutes.

Qui va débouler dans le salon cossu de l’hôtel Lancaster, à deux pas des Champs-Élysées ? Le Congolais Patrice Lumumba, ou bien Petrus, le fermier sud-africain aux dents pourries et à la silhouette effrayante qui habite de sa présence Disgrâce, le roman de J.M. Coetzee ? Ni l’un ni l’autre. Eriq Ebouaney, qui a endossé le costume du premier dans le film de Raoul Peck et incarne aujourd’hui le second dans l’adaptation de Steve Jacobs, ne ressemble à aucun de ces deux personnages.

Quadragénaire à l’élégance discrète, il s’avance tout sourire, la casquette vissée sur le crâne et la chemise entrouverte révélant les poils blancs de sa poitrine. Acteur reconnu en France comme à Hollywood, Ebouaney pourrait jouer la star pressée avec l’aplomb de ceux qui ont travaillé avec de grands réalisateurs – Ridley Scott, Brian De Palma, Jean Becker… – et partagé l’affiche avec de non moins grands acteurs – John Malkovich, Gérard Depardieu, Jeremy Irons, Eva Green… Il pourrait aussi invoquer les trois films prévus pour 2010 dans lesquels il joue (La Horde, Le temps de la kermesse est terminé, Ligne de front). Ce n’est pas son genre : posé et réfléchi, ce père de famille qui vit « entouré de femmes » en Normandie, « avec les pêcheurs, les vaches, le fromage et le calvados », prend tout son temps pour évoquer le tournage, son personnage, l’Afrique du Sud, le Cameroun, la politique africaine… Juste avant de partir au Gabon pour trois mois de tournage, sous la direction de Henri-Joseph Koumba Bididi (Les Couilles de l’éléphant).

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Controversé

Disgrâce est un livre dur, complexe, d’une troublante acuité sur la nature humaine. Le film que Steve Jacobs en a tiré se veut fidèle au texte, à ses ellipses et à ses sous-entendus.

« Avant de me lancer dans l’aventure de ce film, j’en ai parlé autour de moi, raconte Ebouaney. Le bouquin était tellement controversé que je n’ai pas eu envie de faire le film. J’ai longtemps retardé ma décision. J’espérais que le réalisateur trouverait un acteur du pays mieux à même d’interpréter les subtilités de la culture sud-africaine. » Mais après avoir lu le roman et face à l’insistance de Steve Jacobs, il s’est laissé convaincre. « J’ai été fasciné par la force de l’écriture. Ce texte plein d’humanité entre dans votre âme et vous perturbe longtemps. J’ai compris pourquoi tout le monde, les Blancs, les Noirs et les métis étaient mal à l’aise. Quand on ôte la croûte d’une blessure, ça fait encore mal, dessous… »

Pour devenir Petrus, Ebouaney s’est rendu en Afrique du Sud. Il a passé quelques jours dans le township de Gugulethu, au Cap, dans l’intention de comprendre comment les gens vivaient juste après l’apartheid. Puis il s’est attelé à la biographie de Mandela. L’idée ? Essayer de saisir pourquoi et comment quelqu’un qui a lutté pendant des années, subi la prison et l’humiliation, peut décider de pardonner. « C’est le leitmotiv de Petrus : tout est passé, il faut se reconstruire. Cela m’a permis de comprendre que l’on peut pardonner, ce que je pensais impossible auparavant », confie l’acteur d’origine camerounaise. Mais le pardon n’est ni évident ni facile.

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Si le caricatural Invictus de Clint Eastwood raconte un conte de fées cousu de fil blanc jusqu’à l’inévitable happy end de la réconciliation nationale, Disgrâce affronte un réel fait d’incompréhension, de malentendus et de violence. L’Afrique du Sud actuelle n’a rien d’un pays pacifié. Que penser de Petrus qui se refuse à condamner le viol commis par l’un des siens ? Chez Coetzee comme chez Jacobs, il n’y a pas de réponse simple. Et même si la problématique raciale est au cœur du film, Eriq Ebouaney refuse lui aussi les explications manichéennes. « Je crois que ce sont surtout les inégalités sociales qui provoquent la violence », dit-il.

Conscient de vivre dans un monde privilégié, gardant toujours un œil sur « la terre de ses origines », l’acteur, qui a débuté au théâtre pour « épater une amie » avant d’être remarqué par le réalisateur français Cédric Klapisch, avoue avoir été transformé, en 2000, par le personnage de Lumumba. « C’est ce rôle qui m’a fait prendre conscience de mon africanité. Je menais ma vie pépère à Paris, je n’avais pas conscience de ce qu’avait été la décolonisation. En travaillant sur ce film, j’ai découvert les héros de cette période-là et j’ai réalisé que les choses n’avaient pas beaucoup changé entre 1960 et 2000. »

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En dépit d’un timbre de voix très doux, Eriq Ebouaney peut se montrer acerbe. Le débat français sur l’identité nationale ? « Je trouve ça ridicule. » Le Cameroun, où il n’est pas retourné depuis neuf ans, par manque de temps ? « J’ai un peu de rancœur vis-à-vis des Camerounais : ils sont de mauvaise foi et ne se remettent pas assez en question. » Et puis : « Ils n’ont pas beaucoup de reconnaissance envers les enfants du pays qui ne sont pas footballeurs. » Le cinéma et les acteurs africains ? « Nous attendons qu’on nous propose des rôles et, quand on ne nous donne rien, on se plaint. Pourquoi ne réalisons-nous pas nos propres films ? »

 La tête haute

Y aurait-il sous le sourire charmeur l’âme d’un pessimiste ? Non. « J’espère que l’Afrique du Sud servira d’exemple à l’ensemble du continent. C’est aussi ce que démontre Disgrâce à travers le personnage féminin. Les femmes, c’est l’espoir de l’Afrique. Malgré toutes les agressions qu’elles subissent, elles continuent la tête haute. » Et s’il fallait une autre preuve de son optimisme, là voilà : sonné par le séisme en Haïti, il rêve aujourd’hui d’incarner Toussaint Louverture, symbole de la grandeur de ce pays. 

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