Qui finance les mosquées françaises ?

La question de la construction des lieux de culte musulmans suscite bien des fantasmes. Qui paie ? Les fidèles, l’État français, les municipalités, certains pays ou « bienfaiteurs » étrangers ? Réponse : ça dépend !

Chantier de construction d’une mosquée. © AFP

Chantier de construction d’une mosquée. © AFP

Publié le 28 avril 2011 Lecture : 4 minutes.

Le 5 avril, l’UMP a tenu un débat sur la laïcité incluant un « volet spécifique » consacré à l’islam. Au menu : les cantines et les programmes scolaires, les services publics et, bien sûr, les lieux de culte. Ce dernier sujet est sensible. Les cent cinquante projets lancés chaque année renforcent bien des soupçons. Pourtant, la majorité d’entre eux est fort modeste. Seule une poignée se chiffre à plusieurs millions d’euros. Le problème paraît simple, puisqu’il est régi par la loi. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », stipule l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 instituant la séparation de l’Église et de l’État. Seule exception, le concordat de 1801 qui, en Alsace et en Lorraine, permet aux municipalités de subventionner directement les lieux de culte. « Contrairement à ce que l’on croit, le financement public est très marginal, commente Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Les projets de moyenne envergure sont le plus souvent financés par des collectes auprès des fidèles. »

Moins de 100 m2

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Les 5 à 6 millions de musulmans vivant en France (17 % sont pratiquants) disposent de 2 368 lieux de culte, dont 583 dans l’Outre-Mer, selon une évaluation réalisée en 2009 par le ministère de l’Intérieur. Le CFCM estime que presque 40 % d’entre eux sont de simples salles de prière d’une superficie inférieure à 100 m2. « Pour répondre aux besoins des musulmans, il faudrait doubler la surface cultuelle actuelle pour atteindre 500 000 m2 », calcule Moussaoui. De nombreux maires ne ménagent pas leurs efforts en ce sens, même si leurs opposants n’y voient souvent qu’une manœuvre pour gagner des voix dans la communauté musulmane.

« Au nom de l’égalité, chacun doit pouvoir pratiquer sa religion dignement, rétorque Laurent Cathala, maire socialiste de Créteil (au sud-est de Paris). Les trois lieux de prière qui existaient ici étaient trop exigus. C’est ce qui a motivé la construction de la Grande Mosquée. » Reste que le financement est un vrai casse-tête pour les édiles, contraints de dépasser le texte de 1905 tout en restant dans la légalité.

L’outil qu’ils utilisent le plus souvent est le bail emphytéotique, qui permet de louer un terrain pour quatre-vingt-dix-neuf ans, en échange d’un loyer très modéré, voire symbolique. Ces loyers trop faibles sont parfois sanctionnés par les tribunaux administratifs, comme ce fut le cas à Marseille ou à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

En 2003, une conseillère municipale de cette ville, jugeant illégale la cession d’un terrain à la Fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil (FCAMM), avait saisi le tribunal administratif. En 2007, la justice a d’abord annulé la délibération du conseil, puis elle a donné en appel, l’année suivante, son feu vert à la construction d’une mosquée. « L’affaire est entre les mains du Conseil d’État, explique Mohamed Abdoulbaki, vice-président de la FCAMM. En août 2010, les musulmans de Montreuil ont commencé à prier à la mosquée – grâce à une autorisation exceptionnelle, car elle n’est pas encore inaugurée. Ils ont collecté des fonds, nous n’avons reçu aucun don de l’État français. » Le coût du projet est compris « entre 1,6 million et 1,7 million d’euros ». Si l’instance administrative suprême légalise les baux emphytéotiques, la décision fera jurisprudence.

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Activités culturelles

Pour éviter les recours en justice, les maires affinent leurs dispositifs. Souvent, ils invoquent les activités culturelles de la mosquée pour justifier le versement d’une subvention. La mairie de Créteil a ainsi contribué à la construction de la partie culturelle de la « mosquée-cathédrale » (inaugurée en 2008) et a concédé un terrain pour un loyer annuel de 10 000 euros, validé par le tribunal administratif. « Ces espaces culturels comprennent notamment les salles de conférences, de cours et d’exposition, ainsi que le hammam, indique Karim Benaïssa, président de l’Union des associations musulmanes de Créteil. La mairie a versé 1 million d’euros sur les 2,5 millions qu’a coûté cette partie de l’édifice. » Le coût total de la mosquée est de 5,7 millions d’euros. Aucun État étranger n’a participé au financement, hormis l’Algérie, qui, via son ambassade à Paris, a remis un chèque de 100 000 euros.

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Au niveau national, le montant des aides étrangères est impossible à chiffrer. « C’est du cas par cas, assure Bernard Godard, consultant auprès du bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur. Il y a un fantasme autour du financement étranger, États ou bienfaiteurs privés. Il n’est en réalité pas si important. » Depuis 2001, les dons en provenance des pays du Golfe sont moins importants. Craintes de détournements ? Crise de Dubaï ? Volonté d’indépendance des mosquées ? « Impossible d’avancer une seule explication. En l’absence d’un organe qui centralise ces financements, il est très difficile de savoir s’il y a une démarche globale », reconnaît Mohammed Moussaoui. Créée en 2005 sous l’égide du CFCM et à l’initiative de Dominique de Villepin, le ministre de l’Intérieur de l’époque, la Fondation pour les œuvres de l’islam de France est en effet restée lettre morte.

À Évry (au sud de Paris), on ne fait pas mystère d’un financement étranger : le Maroc (914 694 euros), la Banque islamique de développement de Djeddah (3 048 980 d’euros) et le cheikh saoudien Akram Aadja (457 347 euros). « Le Maroc n’a posé aucune condition, explique Khalil Merroun, recteur-fondateur de la mosquée d’Évry-Courcouronnes. Il est propriétaire du terrain et du bâti, mais la mosquée est gérée par l’Association culturelle des musulmans d’Île-de-France. Nous n’avons sollicité aucune subvention de l’État ou de la commune. »

Si l’attention est aujourd’hui focalisée sur les mosquées, il va de soi que les collectivités publiques versent aussi des fonds pour la construction d’églises. Une subvention de près de 2 millions d’euros a ainsi été accordée à la cathédrale d’Évry (inaugurée en 1995). « Avec le débat sur la laïcité, Sarkozy va ouvrir la boîte de Pandore, redoute Khalil Merroun. Nous, on veut simplement la laïcité égalitaire. »

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Rassemblement à Saint-Priest, près de Lyon, après l’incendie criminel de la mosquée, en 2008 © AFP

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