Kassoum Tapo : « Équité ne veut pas dire parité »

La composition de la Ceni suscite une polémique toute sémantique au Mali. Entretien avec Kassoum Tapo, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, député de la majorité.

L’ex-bâtonnier dirigeait la Ceni pour les scrutins de 1997. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

L’ex-bâtonnier dirigeait la Ceni pour les scrutins de 1997. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

Publié le 14 octobre 2011 Lecture : 3 minutes.

Où va le Mali ?
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Où va le Mali ?

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Jeune Afrique : Depuis l’annonce de sa composition, le 7 septembre, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) pour les scrutins présidentiel et législatif de 2012 au Mali est contestée. Qu’en est-il au juste ?

Kassoum Tapo : Il faut d’abord préciser que le projet de réformes institutionnelles initié par le président ATT [Amadou Toumani Touré, NDLR], dont la refonte de la loi électorale, ne sera pas mis en œuvre avant les élections de 2012. L’Agence nationale des élections, appelée à remplacer l’actuel dispositif administration-Délégation générale aux élections (DGE)-Ceni, ne verra donc le jour qu’à l’issue de l’actuelle législature.

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La mission de la Ceni se limite à la supervision du processus et au contrôle de la régularité des opérations de vote. En 2004, son règlement interne a subi un toilettage qui a ramené sa composition de trente à vingt membres, qui s’organisent comme suit : cinq pour l’administration, cinq pour la société civile et dix pour la classe politique, la loi imposant pour cette dernière catégorie une « répartition équitable » entre majorité et opposition. La polémique est d’ordre sémantique : « équitable » signifie-t-il pour autant paritaire, voire égalitaire ?

Peut-on parler d’équité quand l’opposition ne sera représentée que par un membre, contre neuf pour la majorité ?

Lorsque j’ai présidé la Ceni en 1997, l’opposition avait imposé une répartition égalitaire et obtenu le même nombre de sièges que la majorité. À partir de 2002, les deux mandats du président ATT ont été caractérisés par un consensus qui a cristallisé la quasi-totalité de la classe politique autour du programme présidentiel. Ce qui a réduit l’opposition à la portion congrue. Et nul leader politique ne s’est offusqué quand, en 2004, le terme « égalitaire » a été remplacé par « équitable ».

Si l’opposition boycotte, ce sera son choix de ne pas jouer le jeu 

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Cela dit, la réponse à votre question est oui : aujourd’hui, l’opposition est incarnée par le parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance [Sadi, d’Oumar Mariko]. Il a trois députés, contre cent quarante-­quatre pour la majorité, soit moins de 2 % de la représentation nationale. Serait-il équitable de le gratifier d’une représentation de 50 % au sein de la Ceni comme il le réclame ?

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Quand bien même disposerait-il d’un siège supplémentaire, la faiblesse de son implantation nationale ne lui permettrait pas de trouver suffisamment d’agents pour être présent dans les différentes circonscriptions électorales : au niveau régional (8 régions en plus du district de Bamako), au niveau local (54 cercles ou sous-préfectures) et au niveau municipal (797 communes)… Lorsque je présidais la Ceni, j’ai vécu une situation cocasse : dans certaines localités où l’opposition était totalement absente, la majorité choisissait des membres de la société civile pour remplacer cette dernière.

Cela pourrait-il se reproduire en 2012 ?

Je ne l’exclus pas, au regard du poids politique de l’opposition. Encore une fois, « équitable » est plus proche de « proportionnel » que d’« égalitaire ».

Où en est-on aujourd’hui ?

Le chantage et les pressions de l’opposition peuvent gêner le processus, mais en aucun cas le bloquer. La mission de supervision de la Commission électorale n’empêche aucunement les opérations de révision du fichier électoral, qui doivent avoir lieu en ce mois d’octobre 2011. Quant à la distribution des cartes d’électeur, elle est du ressort et de l’administration et de la DGE.

Une Ceni boycottée, une polémique sur le fichier électoral : cela ne risque-t-il pas de nuire à la crédibilité du scrutin ?

La question du fichier a été tranchée : on utilisera le Recensement administratif à caractère électoral (Race), élaboré en 2002, et non le Recensement administratif à vocation d’état civil (Ravec), qui n’est pas achevé. À l’impossible nul n’est tenu. Aucun fichier électoral au monde ne peut se targuer de la perfection. Nous avons eu à le vérifier dans de grandes démocraties comme les États-Unis ou la France.

Quant à la menace formulée par l’opposition de boycotter la Ceni, la loi a prévu un tel cas de figure. Si elle boycotte, le processus se fera sans elle. Ce sera son choix de ne pas jouer le jeu démocratique. 

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Propos recueillis à Bamako par Cherif Ouazani

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