Législatives françaises : pour qui vont voter les Français d’Afrique ?

Pour la première fois, les Français de l’étranger éliront leurs députés à l’Assemblée nationale. Sur le continent, deux circonscriptions, l’une à gauche, l’autre à droite. Mais difficile de connaître à l’avance l’issue de ce scrutin unique.

Les candidats PS et UMP des circonscriptions « africaines ». © Montage J.A

Les candidats PS et UMP des circonscriptions « africaines ». © Montage J.A

Publié le 29 mai 2012 Lecture : 5 minutes.

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« Khadija l’africaine ». Pour la candidate UMP de la 9e circonscription des Français de l’étranger, le surnom dont on l’affuble est une fierté. Franco-marocaine, Khadija Doukali l’assure : de Tunis à Dakar, pour emporter les voix des Français, la proximité s’impose.

Impossible pour l’heure d’évaluer une telle déclaration, puisque l’élection des députés des Français de l’étranger, application d’une mesure adoptée en 2008, est une première en France. Au total, ils sont près de 180 à briguer les 11 circonscriptions qui partagent le monde. Sans respecter le tracé des continents, ces zones peuvent regrouper jusqu’à 50 pays de tailles et de culture très diverses.

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Alors que les Français de l’étranger votent plus à droite que l’ensemble de la population, à l’issue de la présidentielle du 8 mai, le continent est apparu plus divisé. Dans la 9e circonscription, qui regroupe le Maghreb (hors Égypte) et l’Ouest du continent, Nicolas Sarkozy a été largement battu avec seulement 38,3% des votes (contre 61,7% pour son concurrent), alors que dans la 10e – zone qui s’étend de l’Arabie Saoudite au Gabon – il a récolté 57,5% des suffrages. Mais le test est-il suffisant pour prédire l’issue des législatives ?

Des attentes variées

Comme en métropole, le vote partisan importe. Pour ce couple de Français domicilié en Jordanie, « le concept de "député des Français de l’étranger" est un non-sens. Nous n’attendons pas de cet élu qu’il défende nos intérêts particuliers mais qu’il porte un projet pour la société française et sa collaboration avec les autres peuples ». Un argument sur lequel Pouria Amirshahi, le candidat socialiste de la 9e circonscription, a basé sa campagne. « Comme tous les Français, ceux de l’étranger votent pour un projet de société, la dynamique du changement proposée par François Hollande par exemple », assure-t-il.

Frédéric Dabi, directeur-général adjoint de l’Ifop et spécialiste des études d’opinion, approuve. Selon lui, les Français de l’étranger représentent, dans leur ensemble, une population plutôt aisée, « qui s’intéressent à la politique et vote pour les grands partis ».

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Depuis le 23 mai, ces électeurs ont commencé à voter, via Internet. Et, au-delà de l’adhésion à un projet de parti, beaucoup d’entre eux attendent de leurs futurs députés des réponses à des situations spécifiques, qui dépendent notamment des pays dans lesquels ils vivent. Si l’éducation arrive en tête des préoccupations sur le continent, dans le Golfe et certains pays d’Afrique centrale (le Gabon par exemple) – où Nicolas Sarkozy a fait de très bons scores – la fiscalité est souvent l’une des priorités d’une classe plutôt aisée.

Au Maghreb ou en Afrique de l’Ouest, où l’on trouve de nombreux binationaux, ce sont d’autres thèmes qui intéressent. « Nous sommes de plus en plus nombreux à assumer des vies en couple mixte avec des enfants métisses ou même avec des enfants adoptés. Or la crispation de la politique métropolitaine sur la nationalité et les visas va à l’encontre de la reconnaissance de ces situations de vie de plus en plus fréquentes », déplore Alain Mutombo Cannone, un Français de Kinshasa. « Je suis père de famille et l’éducation est naturellement au centre de mes priorités. Mais il y a aussi l’emploi. Il faut agir en faveur de ceux qui perdent leur emploi et qui sont contraints de retourner en métropole pour bénéficier de l’allocation chômage », témoigne pour sa part David C., un Franco-Ivoirien de 41 ans, depuis Abidjan.

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Stratégies

Dans la partie Est de la 10e circonscription – au Liban, en Israël ou au Qatar – la priorité est de garantir la sécurité. Un projet dont Alain Marsaud se fait le porte-voix. L’ancien juge antiterroriste, candidat UMP, a choisi d’axer sa campagne sur l’expérience politique. « Dans la 10e, il y a 49 pays avec des préoccupations totalement différentes. Vu la diversité des États, on ne voulait pas privilégier un candidat issu de l’un d’entre eux », explique-t-il, certain qu’« être doté d’une sérieuse expérience politique est un avantage pour couvrir l’ensemble de la zone ». Son opposant préfère, lui, faire de son histoire un argument de campagne. Celle d’un Français de Madagascar (son « laboratoire »), qui connaît bien l’Afrique noire. « Je suis le mieux placé en terme de légitimité » jure Jean-Daniel Chaoui.

Khadija Doukali croit elle aussi devoir sa légitimité à une présence de longue date sur le terrain, et pas seulement dans son pays d’origine. « En Afrique subsaharienne, je suis considérée comme une sœur, je m’y sens chez moi. Je suis née dans cette circonscription, je ne suis pas une « parachutée » », clame-t-elle à l’adresse de Pouria Amirshahi, son challenger.

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Il n’y a pour l’heure aucun sondage disponible qui pourrait confirmer, ou non, les déclarations de la candidate, car les instituts les réalisent à la demande des partis politiques ou des journaux, qui préfèrent se fier aux résultats de la présidentielle pour l’étranger. Mais Frédéric Dabi l’admet, la logique de proximité compte bel et bien, comme en témoigne la vitalité de la campagne électorale, et la présence de nombreux dissidents, laissés sur le bord de la route par les grands partis de gauche comme de droite.

Au Caire, Françoise Chassagnard, 51 ans, n’est pas encore décidée. « Si je trouve un candidat proche de l’Égypte, qui connaît bien les enjeux de ce pays, je voterai pour lui. Sinon je donnerai ma voix à un parti ».

« Personne ne peut dire aujourd’hui si la proximité d’un candidat peut inverser le rapport de force », explique Frédéric Dabi. Si l’on peut s’attendre à voir de fortes disparités au sein des circonscriptions, je n’imagine pas vraiment que l’équilibre de la présidentielle puisse être modifié ».

Autre inconnu de ce scrutin, la place qu’auront les 11 députés – qui représenteront le million de Français inscrits sur les listes consulaires (2,5% des électeurs) – au sein de l’Assemblée nationale. Certains entendent faire bloc, pour défendre les expatriés, autour d’un « discours commun », transcendant les frontières politiques, selon les mots d’Alain Marsaud. Même si d’autres n’envisagent pas les choses ainsi. « Voter UMP ou PS, ce n’est pas la même chose. On est à l’Assemblée pour faire la loi de tous les Français. Et ceux de l’étranger vont enfin trouver leur place dans le projet commun », tranche Pouria Amirshahi.

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