Rwanda – P. Brewaeys : « La thèse Bruguière est définitivement morte et enterrée »

Un livre et un documentaire dont « Jeune Afrique » révèle la teneur en exclusivité (n°2725, en vente en kiosques du 31 mars au 6 avril) soulignent les incohérences de l’enquête du juge Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994 à Kigali.

Des hommes du FPR inspectent en mai 1994 les restes de l’avion qui s’est crashé le 6 avril. © Corinne Dufka/Reuters

Des hommes du FPR inspectent en mai 1994 les restes de l’avion qui s’est crashé le 6 avril. © Corinne Dufka/Reuters

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Publié le 2 avril 2013 Lecture : 3 minutes.

« Définitivement morte et enterrée ! », lance Philippe Brewaeys quand on l’interroge sur la thèse Bruguière, qui a longtemps prétendu incriminer le Front patriotique rwandais (FPR, mouvement politico-militaire majoritairement tutsi) dans l’attentat commis le 6 avril 1994, au Rwanda, contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana. Dans son livre Noirs et blancs menteurs (à paraître le 8 avril en Belgique et quelques jours plus tard en France), le journaliste judiciaire belge, ancien du Soir Magazine, raconte pourquoi le juge parisien Marc Trévidic, s’il entend faire la lumière sur cet événement qui donna le signal de départ au génocide des Tutsis, « va devoir se remettre sur la piste d’un petit groupe d’extrémistes hutus » adeptes de la politique du pire.

Jeune Afrique : Qui sont les Noirs et blancs menteurs pointés dans le titre de votre livre ?20px;" />

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Philippe Brewaeys : Les « noirs menteurs », ce sont les officiers des ex-Forces armées rwandaises (FAR) et les anciens responsables du régime génocidaire, mais aussi certains membres de l’Armée ou du Front patriotique rwandais (APR-FPR) qui ont fait défection depuis une quinzaine d’années et qui ont prétendu livrer à la justice française des témoignages qui, en réalité, ne résistent pas à l’examen. Quant aux « blancs menteurs », ce sont tous ceux qui, de l’Europe à l’Amérique du Nord, ont alimenté ou orienté l’enquête judiciaire afin de lui faire épouser sans autre forme d’examen la piste désignant le FPR.

Que reprochez-vous à l’enquête du juge Bruguière ?

Il a travaillé de manière déraisonnable. L’enquête initiée en Belgique dès avril 1994 suite à l’assassinat de dix casques bleus belges de la Minuar [Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda, NDLR] aurait pourtant dû lui servir de garde-fou. À l’époque, les enquêteurs belges avaient rassemblé des récits circonstanciés permettant de comprendre comment les choses s’étaient vraiment déroulées à Kigali cette nuit-là, et de cerner qui tirait les ficelles. Il faut se rappeler qu’à la veille du génocide, les officiers de l’armée et de la gendarmerie rwandaises ne faisaient pas mystère de planifier la « solution finale » contre les Tutsis. Ils en parlaient ouvertement à leurs homologues belges de la Minuar !

Quelle thèse les enquêteurs belges privilégiaient-ils à l’époque ?

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Selon eux, l’attentat a été commis par un petit noyau d’officiers extrémistes hutus totalement opposés aux accords d’Arusha [accords de partage du pouvoir signés en août 1993 entre la majorité présidentielle, l’opposition intérieure et le FPR, NDLR] et gravitant autour d’un groupe clandestin d’officiers baptisé Amasasu. C’est au croisement de ce groupe et de l’Akazu, le clan de la belle-famille du président assassiné, que se trouvent, selon eux, les commanditaires de l’attentat.

Pourquoi le juge Bruguière n’a-t-il pas tenu compte de l’enquête belge dans sa propre investigation ?

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Il s’est contenté de picorer dans quelques témoignages pour conserver uniquement ce qui pouvait conforter son postulat initial d’une implication du FPR. Mais il s’est soucié comme d’une guigne de tout ce qui, dans l’enquête belge, pouvait inciter à soupçonner les extrémistes hutus.

Selon vous, la piste désignant le FPR n’est donc pas crédible ?

La thèse Bruguière reposait sur une poignée de témoignages présentés comme de première main. Tout le reste de la démonstration du magistrat découlait du récit de témoins de contexte. Or quand on les examine avec un peu de rigueur, aucun de ces témoignages directs ne tient la route. Le diable se nichant dans les détails, c’est en cherchant à recouper, à Mulindi [l’ancien QG du FPR, situé dans le nord du Rwanda, NDLR] ou Kigali, les précisions apportées par ces transfuges de la branche armée du FPR pour crédibiliser leurs accusations que j’ai pu démontrer qu’ils affirmaient n’importe quoi.

Quel rôle jouent les autorités françaises dans la théorie visant à faire endosser au FPR l’attentat du 6 avril 1994 ?

Le FPR, très clairement, est le « meilleur ennemi » de Paris. L’armée française n’a toujours pas digéré sa défaite face à l’ex-rébellion de Paul Kagamé, ressassant un souvenir au moins aussi amer que l’Indochine ou l’Algérie. Le dossier judiciaire sur l’attentat a représenté une opportunité de jeter la suspicion sur l’actuel régime rwandais en affirmant qu’il aurait, à dessein, sacrifié les « Tutsis de l’intérieur ». Cette confluence d’intérêts croisés entre différents clans anti-Kagamé a abouti à des franchissements de ligne jaune que j’ai rarement eu l’occasion de constater dans un dossier judiciaire.

>> Lire l’intégralité du dossier sur l’enquête du juge Bruguière au Rwanda dans Jeune Afrique n°2725, en vente en kiosques du 31 mars au 6 avril.

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Propos recueillis à Bruxelles par Mehdi Ba

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