Ali Bongo Ondimba : sa nouvelle bataille, celle de l’opinion gabonaise

Les législatives de décembre ont donné la majorité absolue au chef de l’Etat. Deux ans après son investiture, Ali Bongo Ondimba a toutes les cartes en main pour atteindre ses objectifs. Sauf, peut-être, l’adhésion de la société civile gabonaise.

À Malabo, le 29 octobre 2011, lors du tirage au sort de la CAN 2012. © Voishemel/AFP

À Malabo, le 29 octobre 2011, lors du tirage au sort de la CAN 2012. © Voishemel/AFP

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Publié le 7 février 2012 Lecture : 5 minutes.

Gabon : faut-il croire à l’émergence ?
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Gabon : faut-il croire à l’émergence ?

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Croissance, développement, émergence… Dès son investiture, le 16 octobre 2009, Ali Bongo Ondimba (ABO) a choisi dans le lexique de l’économie les mots clés de son leadership. Comme pour prendre ses distances avec le régime de Bongo Ondimba père, qui consacrait beaucoup plus de temps aux manoeuvres politiques… Le signe aussi d’une rupture avec l’ancienne Afrique, dont les jeunes ne veulent plus : cette société inégalitaire, où corruption, achat des allégeances et partage des prébendes avaient été érigés en mode de redistribution des richesses nationales. La priorité donnée à l’économie est aussi une manière de montrer que le nouveau pouvoir n’est pas sourd aux impatiences des Gabonais, modestes habitants d’un « émirat pétrolier » qui se soigne de quarante années de magouilles politiciennes.

Opposition aphone

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Dans le même temps, le président n’a pas oublié que, sans marge de manoeuvre politique, gouverner serait un vain mot. Qu’il lui serait difficile d’appliquer son programme s’il devait se battre avec un Parlement hostile. L’obstacle qui menaçait d’entraver son mandat est tombé puisque, à l’issue des élections législatives du 17 décembre dernier, le Parti démocratique gabonais (PDG) s’est octroyé la majorité absolue à l’Assemblée nationale, avec 114 députés sur 120. Il faut dire que l’opposition est moins offensive et relativement aphone depuis le décès, en octobre, de Pierre Mamboundou, leader de l’Union du peuple gabonais (UPG), et l’exil prolongé d’André Mba Obame (en Afrique du Sud puis en France), qui s’était autoproclamé président de la République en janvier 2011. Seule la société civile joue encore les contre-pouvoirs.

Le moment est donc venu de mettre en oeuvre les réformes nécessaires à l’accélération de la croissance, dont le taux s’est établi à 5,6 % en 2011. Il est temps de s’attaquer notamment à la corruption, qui mine l’efficacité de la fonction publique et a considérablement retardé les programmes de construction de logements sociaux de l’État, ce qui a conduit au limogeage, en juin dernier, d’une partie des effectifs du ministère de l’Habitat.

Le pouvoir a le regard tourné vers de nouveaux horizons. Pour lui, le XXe siècle sera asiatique.

C’est aussi le moment de poursuivre la stratégie de prise de participation dans le capital des entreprises étrangères exploitant les ressources minières ou forestières du pays. Bon point : le 29 décembre, la Caisse des dépôts et consignations du Gabon a acquis 35 % de Rougier Afrique International, détenteur de plus de 2 millions d’hectares de concessions forestières au Gabon, au Cameroun et au Congo. Une opération du même genre avait déjà eu lieu en octobre 2010 entre le français Eramet et l’État, pour une prise de participation évolutive de Libreville (jusqu’à 10 % du capital, en plus des 25 % déjà détenus, entre 2010 et 2015) dans la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog), filiale gabonaise d’Eramet, spécialisée dans l’extraction de minerais et la production d’aggloméré de manganèse.

La volonté de rompre avec le passé et la recherche de nouveaux leviers de croissance ont aussi poussé le pouvoir gabonais à regarder vers de nouveaux horizons. Et pour ABO, il est clair que le XXIe siècle sera asiatique. Décidé à poursuivre la diversification de l’économie, très dépendante des cours du brut, du dollar et de l’euro, il ouvre grand la porte à de nouveaux partenaires étrangers. Le singapourien Olam, maître d’ouvrage d’une zone économique spéciale (ZES) à Nkok, à 27 km au nord de Libreville, est le symbole de ce tropisme oriental. La ZES est une coentreprise entre le groupe asiatique (60 % des parts), qui a réalisé 4 milliards de dollars de chiffre d’affaires en Afrique en 2010, et l’État gabonais (40 %). Son objectif est de créer à terme plus de 7 000 emplois et d’attirer en moyenne 1 milliard de dollars d’investissements directs étrangers par an.

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Il est également grand temps de juguler la faiblesse du secteur secondaire, qui pèse à peine plus de 8 % du PIB, en améliorant notamment la compétitivité des PME-PMI. « Le secteur privé est le principal créateur de richesses pour un pays. Nous nous félicitons de la cohérence dont fait montre le gouvernement en se préoccupant du développement des PME-PMI », plaide Jean-Baptiste Bikalou, président de la Chambre de commerce, d’agriculture, d’industrie et des mines du Gabon.

Enfin, l’agriculture, qui cristallise les espoirs de l’après-pétrole, se positionne aussi comme l’une des bonnes pistes vers la diversification. En 2011, le gouvernement a lancé un Programme agricole de sécurité alimentaire de croissance (Pasac). Celui-ci prévoit un appui aux agriculteurs par la facilitation de l’accès au crédit, la mise à disposition des intrants (semences et engrais), la promotion de pôles de production intensive, le soutien à l’organisation de la collecte et de la commercialisation des produits, etc.

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Désintérêt ou boycott ?

Encore faut-il qu’une majorité de Gabonais partage cette vision. Car, en dépit des succès électoraux ainsi que de l’apparente atonie des opposants, le PDG n’a paradoxalement pas gagné la bataille de l’opinion. Si elle peine à exister dans l’espace public en tant que telle, l’opposition demeure soutenue par une partie non négligeable de la population. Ralliés aux méthodes de la société civile, les opposants travaillent en coulisses à discréditer le pouvoir sur la scène internationale. Ils se félicitent ainsi de la faible participation aux dernières législatives, qu’ils évaluent à 10 %, alors que le gouvernement l’a donnée à 34,28 %.

« Nous avons appelé à boycotter ce scrutin pour montrer le vrai visage d’un pouvoir qui privilégie les passages en force en lieu et place du dialogue », confie Georges Mpaga, de la coalition Ça suffit comme ça. « Nous assistons à la transformation du corps social : les Gabonais ont décidé de refuser de vendre leur vote contre des cuisses de dindon et des billets de 5 000 F CFA. Désormais conscients de leurs droits politiques, ils sont en train de devenir de vrais citoyens », se félicite l’avocate Paulette Oyane Ondo, présidente du Centre pour la promotion de la démocratie et la défense des droits de l’homme en Afrique centrale (Ceprodhac). Après cet essai, qu’elles tiennent pour une réussite, opposition et société civile ont décidé de boycotter toutes les consultations jusqu’à l’instauration de la transparence électorale.

Pas de main tendue

Au sein du parti présidentiel, on dénie toute popularité à l’opposition, au risque de se couper d’une partie de la population. Pour le pouvoir, le taux d’abstention élevé s’explique par un désintérêt des électeurs à l’égard de la politique en général. Avec assurance, et en dépit de cette victoire sans combat, le parti au pouvoir continue sur sa lancée, comme si de rien n’était. « Ce sont les prémices de la mise en place d’un système qui mélange capitalisme et État fort, prévient un politologue. Il ne faut pas s’attendre à voir le Palais tendre la main. Il ne concédera rien, car il tient la négociation et le partage pour des signes de faiblesse. »

Dans ce nouveau rapport des forces, le danger qui guette ABO se trouve désormais à l’intérieur de son propre camp. Il a le visage de cette élite urbaine qui n’est « PDGiste » que pour conserver son niveau de vie d’antan. Celle-ci vise-t-elle vraiment l’émergence ? La question devra bien être abordée un jour. Et sans hypocrisie !

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