Togo : comment Faure Gnassingbé veut limiter la casse

Le président togolais Faure Gnassingbé a demandé que des sanctions soient prises contre les membres des forces de sécurité coupables de torture. Retour sur une affaire délicate qui pose la question des rapports entre le chef de l’État et l’armée togolaise.

Faure Gnassingbé a dû manoeuvrer pour ne pas être éclaboussé par l’affaire de torture. © AFP

Faure Gnassingbé a dû manoeuvrer pour ne pas être éclaboussé par l’affaire de torture. © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 21 mars 2012 Lecture : 5 minutes.

Tabassages, menottes serrées jusqu’au sang, simulacres d’exécution… Dans un rapport de 50 pages publié le 20 février, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) raconte le quotidien des compagnons de Kpatcha Gnassingbé, l’ex-ministre togolais de la Défense et demi-frère du chef de l’État, dans les cachots de l’Agence nationale de renseignement (ANR), à Lomé, après leur arrestation en avril 2009. « Ce rapport est inespéré, applaudit un défenseur des droits de l’homme à Paris. C’est la première fois qu’une institution de l’État togolais reconnaît des actes de torture. »

Dans ses conclusions, la CNDH dénonce « des actes de violence physique et morale à caractère inhumain et dégradant ». Pour ne pas braquer le régime togolais, la Commission a omis le mot « torture ». Mais cela n’a pas suffi. Le magistrat qui préside la CNDH, Koffi Kounté, a dû fuir en France, où il vient de demander l’asile politique. Retour sur une affaire de famille qui tourne au scandale d’État.

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En février 2005, à la mort de leur père, Kpatcha et Faure Gnassingbé sont main dans la main. Le premier apporte au second le soutien de l’armée. En avril de la même année, lors de la présidentielle, Kpatcha assure la victoire de son frère au prix d’une violente répression : plus de 500 morts selon l’ONU. Puis les deux hommes se brouillent. En avril 2009, le député Kpatcha et 32 de ses partisans – des militaires pour la plupart – sont arrêtés pour complot. Le régime veut des aveux. Il en obtient avec les méthodes que l’on sait. Kpatcha lui-même n’est pas torturé. Deux ans plus tard, face à l’impatience de beaucoup de Kabyès, du nord du pays, Faure Gnassingbé se décide à organiser un procès. Jusque-là, tout est sous contrôle.

Eclaboussé

C’est en septembre 2011 que le scandale éclate. En plein procès, les accusés déclarent que leurs aveux ont été extorqués sous la torture. La Cour fait mine de ne pas entendre. Mais le verdict est lourd – vingt ans de prison ferme pour le député de Kara et trois de ses compagnons. Et pour faire bonne mesure, le tribunal demande à la CNDH d’enquêter sur les allégations de torture. La Commission prend son travail au sérieux. Elle convoque tout le monde. Seuls le général Titikpina, chef d’état-major des Forces armées togolaises, et le colonel Massina, directeur général de l’ANR, se dérobent. Début février, Koffi Kounté remet son rapport au chef de l’État togolais, qui, dans un premier temps, donne son accord pour publication.

Étouffer le scandale

En avril 2009, à Lomé, c’est avec des menottes de plus en plus serrées aux poignets que les hommes de l’Agence nationale de renseignement (ANR) ont interrogé plusieurs compagnons de Kpatcha Gnassingbé, accusés d’avoir comploté contre le chef de l’État. Extraits du rapport de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) publié le 20 février. Une victime : « Le colonel Titikpina [le chef d’état-major général des Forces armées togolaises (FAT), NDLR] donnait l’ordre de serrer davantage quand il n’était pas satisfait de mes réponses. » Un tortionnaire : « Je ne lui ai pas couvert la tête, mais je reconnais qu’il se plaignait d’avoir mal aux poignets à cause des menottes, et je les lui ai enlevées. » En décembre 2011, près de trois ans après les faits, un médecin a constaté que la victime portait encore des traces visibles aux poignets.

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C’est compter sans son entourage. À la présidence, les conseillers s’agitent. « Torture », « mauvais traitements », « actes de violence » ? On pinaille sur les mots. Surtout, on craint que le chef de l’État ne soit éclaboussé, car l’ANR dépend directement de lui. Finalement, un conseiller tend au président de la CNDH une clé USB et lui dit : « Voici le nouveau rapport. » Persuadée que Koffi Kounté va plier, la présidence fait mettre en ligne le nouveau document expurgé de toute allusion à des actes de torture. Mauvais calcul. Kounté s’enfuit à l’étranger, le 18 février. Le lendemain, il publie le vrai rapport sur le site de la Commission…

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Comment étouffer le scandale ? Aussitôt, Faure Gnassingbé sent le danger. Il est sous les projecteurs comme jamais. Depuis le 1er janvier, son pays siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Le 17 janvier, la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, lui a rendu visite à Lomé. Une première. Ce 21 février, trois jours après la fuite de Kounté en France, il doit présider à New York un débat du Conseil sur l’insécurité en Afrique… Comble de malchance, ce même 21 février, Kounté est reçu au Quai d’Orsay, à Paris. Après tant d’années de mise en quarantaine, le régime togolais est en train de s’acheter une bonne conduite. Ce n’est pas le moment de tout gâcher !

Balle au centre

Habilement, le président togolais opère un repli tactique. Le 29 février, son gouvernement valide le rapport de la CNDH. Il demande au haut commandement militaire de prendre des sanctions disciplinaires contre les agents de l’ANR mis en cause, et annonce que cette agence ne sera plus autorisée à garder des suspects. « D’accord, on a pris un but, concède un proche de Faure. Sans le savoir, quelqu’un de notre équipe a fait une passe à l’adversaire. Ne cherchons pas à savoir qui c’est, et remettons la balle au centre. »

« Ces sanctions, ce sont des mesurettes », rétorque l’opposant Jean-Pierre Fabre, de l’Alliance nationale pour le changement (ANC). « Le général Titikpina, le colonel Massina… C’est le haut commandement militaire qui est responsable de ces actes de torture. Comment peut-il prendre des sanctions contre lui-même ? Il faut aller en justice. » Depuis 1987, le Togo est partie à la Convention internationale contre la torture, souligne l’opposition. Sous-entendu : rien n’interdit à des victimes de porter plainte. Celles qui ont une double nationalité ou des enfants à l’étranger peuvent même saisir la justice d’un autre pays.

Le 2 mars, plusieurs milliers de Togolais défilent dans les rues de Lomé aux cris de « ANR dissolution » et « gouvernement démission ». Pour calmer le jeu, Faure Gnassingbé devra sans doute écarter quelques officiers de son entourage, sans toutefois couper la branche sur laquelle il est assis. « Un proverbe togolais dit : une petite honte vaut mieux qu’une grande humiliation, rappelle un observateur de Lomé. Faure devrait s’en sortir, mais il n’en a pas fini avec Kpatcha. »

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