Sénégal : Futurs Médias à l’épreuve du pouvoir

Le groupe Futurs Médias réunit le journal, la radio et la télé qui ont la plus grande audience du pays. Mais depuis que son patron, Youssou Ndour, est devenu ministre, les choses ne sont plus aussi simples.

Née en 2002, la radio est l’aînée de la fratrie. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

Née en 2002, la radio est l’aînée de la fratrie. © Sylvain Cherkaoui pour J.A.

Publié le 3 octobre 2012 Lecture : 5 minutes.

Macky Sall peut-il changer le Sénégal ?
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Une pointe d’autosatisfaction accompagnait la célébration, début septembre, du dixième anniversaire du groupe Futurs Médias (GFM). Il faut dire que l’entreprise fondée en 2002 par Youssou Ndour, le roi du mbalax, peut se permettre de plastronner. Selon ses dirigeants, Radio Futurs Médias (RFM) – l’aînée de la fratrie, née en 2002 – est la plus écoutée dans la région de Dakar. Un petit tour dans les taxis de la capitale, véritables curseurs en matière d’audience, confirme la tendance. L’Observateur, le quotidien de 16 pages lancé un an plus tard, est aujourd’hui le journal le plus lu au Sénégal, et de loin, puisqu’il tire (toujours selon le groupe) à 95 000 exemplaires. Enfin, la petite dernière, Télé Futurs Médias, est l’une des trois chaînes de télévision les plus regardées, deux ans après son lancement, en 2010.

Les journalistes de RFM mettent en avant leur indépendance et leur esprit critique.

Futurs Médias, avec ses quelque 400 salariés, est un groupe solide. Rentable, aussi, si l’on se fie à son directeur général, Mamoudou Ibra Kane. Une success-story que les observateurs expliquent par le professionnalisme des équipes de ces trois médias et par les grosses sommes investies, au départ, par « You ». D’après un ancien de RFM, « il s’est payé les meilleures plumes, les meilleurs animateurs et, surtout, il met à disposition de ses équipes du matériel de qualité ». Les journalistes maison, eux, mettent en avant leur indépendance et leur esprit critique.

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Suspicions

Pourtant, à l’approche du dixième anniversaire, cette belle réputation a été quelque peu ternie. Avec l’entrée de Youssou Ndour dans le gouvernement de Macky Sall, en avril dernier, un flot de suspicions s’est abattu sur les médias du groupe. Il y a ceux qui pensent, comme ce patron d’un journal concurrent, que « L’Obs c’est désormais le deuxième journal gouvernemental » et que, avec la nomination du « boss » au ministère de la Culture et du Tourisme, le quotidien serait subitement devenu docile. « C’était notre premier opposant quand on était aux affaires et, aujourd’hui, c’est le premier supporteur de Macky Sall », déplore quant à lui un collaborateur d’Abdoulaye Wade. Il est vrai que, durant les derniers mois de sa présidence, le journal, comme la plupart des autres quotidiens, était particulièrement mordant. Il y a aussi ceux, dont certains proches de Sall, qui encaissent mal les (rares) critiques qu’ils peuvent lire dans L’Obs. En juin, plusieurs d’entre eux s’en sont pris publiquement au ministre de la Culture. « Son groupe de presse nous attaque quotidiennement, c’est inacceptable, s’est indigné Djibril War, un cadre de l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall. Il faut que l’engagement de Youssou Ndour dans le gouvernement se reflète dans la ligne de son groupe de presse. » En d’autres termes, s’aligner ou se retirer… Un autre proche du chef de l’État, Jean-Paul Dias, dont les déclarations incendiaires sont une marque de fabrique, a estimé que la présence de You dans le gouvernement faisait « désordre », non pas parce que c’est un artiste, mais parce que ses médias dérangent.

Malaise

Au sein du gouvernement, même les plus mesurés admettent un malaise. « C’est une situation délicate…, glisse l’un d’eux. Disons que Youssou, par le passé, a su tenir ses journalistes. » Sous-entendu : plus maintenant.

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Plusieurs articles de L’Obs sont incriminés, mais c’est celui qui portait sur le patrimoine du président, où l’auteur constatait qu’il ne collait pas avec les salaires, qui a mis le feu aux poudres. Selon la rumeur, Sall s’en serait plaint auprès de Ndour, qui aurait convoqué le rédacteur en chef. L’entourage des intéressés nie. L’auteur de l’article, Pape Sambaré Ndour, n’en a lui-même pas eu confirmation. « Je sais que, le lendemain, des proches de Macky ont appelé la rédaction ; mais jamais Youssou Ndour ne m’en a parlé », explique le journaliste, rédacteur à L’Obs depuis deux ans, qui affirme n’avoir jamais subi de pression de la part du patron. Au contraire, « il ne passe quasiment jamais à la rédaction. En deux ans, je l’ai vu peut-être deux fois, et il nous a toujours dit que nous étions libres ».

Dans le bureau qui, jusqu’en avril, était occupé par la star planétaire, au deuxième étage des studios de la TFM, Mamoudou Ibra Kane est à l’aise. Le journaliste connaît bien la maison. Il a dirigé la RFM pendant neuf ans. Le fait que les critiques viennent des deux côtés du paysage politique est de nature à le conforter. « Cela signifie que nous faisons notre travail. Affirmer que nous sommes aux ordres de Youssou Ndour, c’est mal connaître nos journalistes. Et c’est mal connaître Youssou, car il a beaucoup de respect pour la profession. »

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L’Obs, You le découvre comme tout le monde, lorsqu’il est déjà en kiosque. Idem pour sa radio et sa télé. « Contrairement à d’autres patrons, il n’est pas du genre à se mêler de tout », affirme l’un des anciens journalistes du groupe passé depuis à la politique. Le ministre reconnaît d’ailleurs ne pas être toujours d’accord avec ce qu’il y lit ou entend. « Ce groupe, dit-il, c’est une grande fierté, j’ai mis beaucoup d’argent dedans, je ne vais pas hypothéquer son avenir ou le mettre en danger parce que je me suis engagé en politique. Sa force, c’est son indépendance. »

L’Obs, "You" le découvre en kiosque, comme tout le monde. Idem pour sa radio et sa télé.

La frontière n’en est pas moins étroite et le mur qui sépare la rédaction du grand patron friable, ainsi qu’il le fait lui-même remarquer : « Je ne peux pas m’engager dans un combat et accepter que, dans le même temps, mon journal détruise ce combat. Mon journal ne doit pas me gêner. Mais j’estime qu’il ne doit pas non plus me cirer les pompes. »

Et Mamoudou Ibra Kane de renchérir : « Les Sénégalais nous ont adoptés pour notre indépendance et notre sens de l’équilibre. Le jour où nous ne les satisferons plus, ils nous lâcheront. Mais ce n’est pas le cas. » Ces derniers mois, L’Obs a même augmenté ses ventes.

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